La famille. Véritable cellule. Il y a celle qui se multiplie en favorisant la croissance de chacun. Il y a aussi celle qui emprisonne des êtres qui peuvent passer une vie à tenter de la fuir. Entre ces deux extrêmes, on trouve des clans qui, tout comme Les Plouffe, ont marqué les spectateurs d’ici. Ces familles reflètent l’étendue de ce registre et permettent d’esquisser le portrait d’une évolution marquée par la recherche d’affranchissement.

Le rapport amour-haine qu’on peut entretenir avec la famille s’affiche clairement dans Tit-Coq (1948) du pionnier Gratien Gélinas1. Auprès d’une famille nombreuse qui l’accueille chaleureusement, le soldat et orphelin Arthur St-Jean prend la pleine mesure de ce qui lui avait atrocement manqué. Or, lorsqu’il part combattre en Europe, cette même famille pousse sa compagne Marie-Ange dans les bras d’un autre qu’elle finit par épouser. La tante de Marie-Ange remet même en doute la vertu de Tit-Coq, enfant livré anonymement à l’orphelinat et qui a été « conçu dans le vice ». Ainsi, la famille est tour à tour celle qui délivre et celle qui condamne.

Avec Quelle famille ! (1969-1974), Janette Bertrand donne davantage la parole aux mères et aux adolescents en signant à la télévision des textes misant sur le conflit de générations. Elle joue elle-même le rôle de cette mère dialoguant continuellement avec ses cinq enfants. Son personnage est plus ouvert aux valeurs découlant de la Révolution tranquille, alors que son mari demeure attaché à ce passé où les jeunes respectaient l’autorité sans riposter. La dynamique montre comment la mère, coincée entre son époux et sa progéniture, amène ces deux parties à faire des compromis et à mieux communiquer.

C’est justement l’absence de communication véritable qui est au cœur de l’œuvre de Michel Tremblay. À travers pièces et romans, on remarque que sa saga familiale offre des personnages qui se confient facilement au spectateur ou au lecteur, alors qu’ils ont davantage de difficulté à réellement communiquer entre eux. Ce procédé est particulièrement exploité dans la pièce À toi, pour toujours, ta Marie-Lou (1971) où les parents sont trop opprimés pour vivre autre chose qu’une violence refoulée. Dans le passé, ils monologuent et multiplient les confessions qui servent de contrepoint aux échanges livrés dans le temps présent par leurs filles, le tout empruntant la forme d’un quatuor à cordes ne parvenant pas à former une seule mélodie harmonieuse.

L’harmonie n’est pas plus présente chez les Galarneau du téléroman L’héritage (1987-1990). Rarement la colère aura pris autant de place au petit écran que sous la plume de Victor-Lévy Beaulieu. Le père autoritaire Xavier, son fils mal-aimé Miville et sa fille exilée Miriam sont ceux qui multiplient le plus souvent les joutes verbales et les sarcasmes. Le véritable héritage familial, c’est celui de cette rage qui résulte notamment d’un inceste qui a tout fracturé.

Dans le même esprit, plus d’une fois chez Michel Marc Bouchard, le passé familial fait également l’objet d’une forme d’autopsie3. Par exemple, dans sa pièce Les Muses orphelines (1988), la disparition inexpliquée d’une mère a hypothéqué l’avenir de ses enfants4. Déjà marginalisée par cette désertion, la famille a mal vécu ce drame en région, privée de l’anonymat des grandes villes. Entre eux, les enfants abandonnés critiquent la réaction de chacun. La préservation de lienssincères est encouragée par la plus jeune des filles qui, malgré son handicap intellectuel, est peut-être celle qui a conservé la plus grande lucidité5.

Dans ces œuvres et dans plusieurs autres, on constate comment la représentation de la famille a reflété les métamorphoses du Québec. Des familles nombreuses de Gélinas où les membres pouvaient difficilement sortir du rang, nous sommes passés à des textes où l’autorité parentale était ouvertement remise en question lorsqu’elle faisait obstacle à un ardent désir d’émancipation. Les femmes et les enfants, avant d’obtenir un réel pouvoir dans la société, ont reçu progressivement un droit de parole offert par divers auteurs et autrices qui s’identifiaient à eux. La figure paternelle, fréquemment au banc des accusés, a désormais droit à des portraits plus représentatifs des divers types de pères. Tant dans la réalité que dans la fiction, la famille a ainsi progressé en permettant davantage aux individus d’affirmer leur singularité.