Un cadre, selon moi, est un endroit où les gens se rassemblent pour assister à de l’art ; un musée, un théâtre, une salle de concert, un cinéma, etc. C’est aussi un format dans lequel l’art nous est transmis ; une chanson, un livre, une photo, un film, etc. Le cadre est en quelque sorte une béquille qui nous dit : voici l’art, voici ce que tu dois apprécier et comment. Le cadre nous donne un focus, une raison. C’est une mire qui nous aide à viser et comprendre ce qui se trouve en face de nous. Une toile abstraite de Borduas, Letendre ou Ferron dans un musée nous dit : arrête-toi un temps aux couleurs devant toi, regarde la direction de cette ligne que j’ai posée ici, regarde la profondeur de ce noir, etc. Ces artistes ont pris une décision et nous nous retrouvons face à elle.

L’art vu au travers d’un cadre est une chose merveilleuse et enrichissante, mais c’est loin d’être sa seule avenue. L’art se manifeste en dehors de ces cadres fréquemment, rapidement et de manière improvisée tout autour de nous. Nous devons seulement guider notre attention sur lui. Ouvrir nos antennes. Leur donner une chance de capter la beauté. La beauté, par exemple, des lignes de désir dans une ville, ces chemins qui se créent par le passage répété des humains au même endroit.

L’art hors-cadre est pour moi une source intarissable d’émerveillement, de liberté et d’absolu.

Certaines manifestations « d’art en dehors des cadres » sont complètement assimilées et en quelque sorte oubliées par notre société ; les nuages sont des sculptures en constante évolution, les rêves parlent d’un monde où les plus puissantes drogues ne seraient que jeux d’enfants, le chant des oiseaux est le miroir infini du langage, etc. Il faut partir de ces manifestations que tous reconnaissent pour trouver où se cachent les autres images, les autres musiques déposées par le hasard .

Les figures de style, par exemple, sont des micro- organismes de poésie totale. On apprend à les différencier, à les utiliser, mais trop rarement à les apprécier; des papillons dans le ventre, un coup de foudre, des fourmis dans les jambes, être dans la lune, etc. Ce sont des métaphores qui font preuve d’une poésie parfaite, pourvu qu’on y porte attention. Il faut s’arrêter à leur raison d’être aussi souvent que l’on peut. Réfléchir à la nature de telle ou telle expression, fouiller l’étymologie qui nous apprend la différence entre avocat et avocat. Parce que le sourire qui en résulte est précieux.

Quand on y pense, le langage est la première forme d’art, le premier instrument, la première sculpture. Il est poétique par définition : c’est un agencement de sons qui nous permet de communiquer et d’avancer en société. Un agencement de sons, de bruits qui s’est construit à partir de grognements, de jappements d’animaux. Nous nous devons de jouer avec lui aussi souvent que l’on peut. Essayer de poursuivre les bijoux qu’il contient en aiguisant notre curiosité, en cultivant cette sensibilité à aimer, ce réflexe d’ouvrir les yeux à l’alentour.

L’art n’est pas un contenu, c’est le contenant. C’est lui qui nous englobe. Nous nageons dans son imagination. Il est partout et ce n’est qu’une question de focus. La balle est dans notre camp et c’est à nous de choisir ce que l’on capte, ce que l’on apporte au cœur.