Une chambre d’hôpital. Luca, les yeux recouverts d’un bandage, assis sur un lit, attend nerveusement. Docteure Alouf entre, un miroir dans les mains.

Docteure Alouf : Bonjour, Luca.

Luca : C’est vous, docteure ?

Docteure Alouf : Vous ne reconnaissez pas ma voix ?

Luca : Vous êtes seule ?

Docteure Alouf : Oui, il n’y a personne d’autre que vous et moi dans la chambre.

Luca : Si on attendait à demain ?

Docteure Alouf : Vous m’avez dit la même chose, hier.

Luca : Le miroir, vous avez apporté le miroir ?

Docteure Alouf : Oui, j’ai apporté le miroir comme vous me l’avez demandé. Voilà, je le dépose ici.

Luca : J’ai peur.

Docteure Alouf : C’est normal. Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer.

Luca : Vous en êtes certaine ?

Docteure Alouf : Je vais enlever vos bandages maintenant.

(Docteure Alouf enlève la partie extérieure des bandages de Luca.)

Docteure Alouf : J’ai presque terminé. Prenez une grande respiration, ça va tirer un peu.

(Docteure Alouf arrache la dernière partie du bandage. Luca crie de douleur.)

Docteure Alouf : Voilà, c’est fini. N’ouvrez pas les yeux tout de suite.

Luca : Pourquoi ?

Docteure Alouf : Je vais aller fermer les rideaux. La lumière va vous éblouir.

Luca : Il y a du soleil aujourd’hui ?

Docteure Alouf : Oui, il fait une superbe journée d’été !

(Docteure Alouf ferme les rideaux de la fenêtre.)

Luca : Vingt-sept ans… vingt-sept ans que j’attends de voir mon visage.

Docteure Alouf : Je tiens à vous le répéter encore : ce sera un peu embrouillé au début. Vous êtes aveugle de naissance, votre cerveau n’a pas appris à agencer les formes et les couleurs. Ça va prendre un peu de temps. Vous êtes prêt ?

Luca : Oui, je suis prêt.

(Docteure Alouf donne le miroir à Luca qui le tient devant son visage.)

Docteure Alouf : Ouvrez les yeux lentement.

(Luca ouvre les yeux lentement. Au même moment, la chambre est plongée progressivement dans le noir, à l’exception du visage de Luca se regardant dans le miroir. Long temps.)

Luca : Je ne vois rien. Docteure Alouf : Restez calme. (Long temps.)

Luca : Je ne vois toujours rien…

Docteure Alouf : Ça va venir, Luca…

(Apparaît, projeté sur un mur de la chambre, ce que Luca décrit au Docteure Alouf.)

Luca : Ah… oui, je vois quelque chose… comme des taches de lumière… Ah, elles se transforment !

Docteure Alouf : Votre visage ! Vous voyez enfin votre visage !

Luca : Non.

Docteure Alouf : Non ?

Luca : Non, je vois maintenant une forme.

Docteure Alouf : Vous pouvez me la décrire ?

Luca : C’est un rectangle parfait. Je crois qu’il est de couleur bleue. Cette couleur, vous savez, quand les gens parlent du ciel quand il n’y a pas de nuage.

Docteure Alouf : Vous voyez un rectangle bleu ? C’est étrange.

Luca : Il se divise maintenant !

Docteure Alouf : Le rectangle ?

Luca : Oui, en douze carrés identiques. Docteure Alouf : Ce n’est pas possible. Luca : Ah ! C’est extraordinaire !

Docteure Alouf : Quoi ?

Luca : Je vois mes visages !

Docteure Alouf : Vos visages ?

Luca : Oui, il y en a… douze… oui, c’est bien ça : douze ! Ils viennent d’apparaître dans les carrés. Ils se ressemblent tous mais ils ont tous quelque chose de différent ! Mais lequel est le vrai ?

Docteure Alouf : Luca, je suis désolée, vous ne voyez rien dans le miroir. Vous imaginez tout cela. L’opération n’a pas réussi.

Luca : Non ! Je vous dis que je les vois, mes visages ! Je les vois !

(Soudain le miroir éclate dans les mains de Luca. La lumière revient. Luca se lève, s’approche du Docteure Alouf.)

Luca: Je vois aussi vos douze visages. Mais lequel est le vrai ?