Le poids énorme de l’État est partout entre les murs de l’institution scolaire, à tout moment, mais normalement, quand la classe est pleine et que le rapport de confiance est bien établi, c’est comme si le carcan étatique coercitif arrivait à passer sous silence. Il est toujours là, c’est inévitable, mais le rôle d’un bon professeur, surtout lorsqu’il s’agit d’un cours obligatoire, est de donner l’impression à tout le monde d’être là par choix.

Mais que devient une salle de classe, quand elle ne compte plus que deux personnes ? En 2012, quand certains étudiants ont décidé de passer outre les votes de grève majoritaires de leurs associations, en demandant des injonctions pour obtenir leurs cours, une brèche a été ouverte. C’est dans cette brèche que nous amène Olivier Choinière avec Zoé.

En principe, l’enseignement collégial, par son nom même, invite au dialogue. Demandez à n’importe quel prof de philo au cégep, et il vous dira que sa pratique a connu ses meilleurs moments, non pas quand il débitait un tas de matière dans un exposé magistral bien ciselé de rhétorique implacable, mais plutôt dans un moment d’échange inattendu, convivial, hors du temps, où la matière du cours a été mise de côté, en partie, pour avoir un vrai débat, pressant, et où les étudiants eux- mêmes ont pris l’avant-scène. Le plus surprenant, c’est que justement, dans un cours à deux, la classe donne toujours lieu à un tel dialogue, socratique dans son cœur même.

Je pense à cette étudiante qui m’avait objecté, en philo 101, qu’elle aurait le temps pour toutes ces questions sur la vie quand elle serait vieille, bien assise dans sa chaise berçante. La remise en question de la pertinence même de la philosophie fait depuis toujours partie du questionnement philosophique, c’en est souvent l’étincelle. Le débat a été riche, marquant, pour moi, et j’ose espérer, pour les étudiants aussi.

On aborde très rarement Hegel2 au cégep, surtout parce que c’est impossible à lire, même pour les philosophes de profession. Il est au mieux mentionné en chemin vers un exposé sur Marx, diantrement plus facile à incarner dans les préoccupations de notre époque. La Phénoménologie de l’esprit, dont le nom seul fait frissonner, recèle une marée d’idées essentielles, mais enrobées d’un des pires jargons, c’est à donner le vertige. C’est pourtant dans la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave que Zoé prend son envol. Hegel n’est pas évoqué nommément, mais il donne naissance à tout le dispositif dramaturgique. Qui est le maître, si le maître a besoin de l’esclave pour être maître ? Qui mène le bal, si Luc enseigne sous les ordres initiés par Zoé ?

La question plus directe, égrainée de multiples façons au long du dialogue : comment trancher entre les droits collectifs politiques et les droits individuels légaux ? Le texte ne répond pas puisque, pour Choinière, ce texte cherche à comprendre les individus, alors que dans son travail précédent il prenait un angle plus global sur les dynamiques sociales délétères. La majorité n’a certainement pas toujours raison, mais que le légal surplombe constamment le politique a évidemment de quoi inquiéter.

Au bout du compte, se demande le dramaturge, est-il même possible de vraiment entrer en dialogue, ou est- ce que le prof et l’étudiante font preuve du contraire, alors qu’ils restent plus souvent qu’autrement campés sur leurs positions ? C’est le tragique même de la profession enseignante, dont chaque professeur au front fait un jour l’expérience troublante : et si tout ça n’était que peine perdue ?

La salle de classe où se déroule l’action est décrite simplement ainsi : des ruines. Fréquenter les idées du passé, bien sûr, permet ce pas de recul sur le monde d’aujourd’hui. Mais en parallèle, cela met en relief le fait que sept ans après le champ de bataille de 2012, le milieu de l’éducation se dressait à nouveau contre le gouvernement, en réussissant à faire plier François Legault et son ridicule programme d’immigration. Le combat politique, au Québec, passe par la salle de classe, de plus en plus peut-être.

Alors que la présence d’étudiants libres est une tradition bien établie à l’université, cela semble ne pas vouloir exister au cégep, qui lorgne vers la logique de l’enseignement secondaire, sur cet aspect. Cette pièce ouvre les portes de nos classes, où il se passe des choses pertinentes pour tous.