Observant des traces laissées sur le sol lunaire, les Dupont et Dupond concluent à la présence d’autres hommes sur la Lune. Leur raisonnement est irréfutable. « Impossible que ce soit UN d’entre nous : il y a DEUX traces parallèles. », affirme Dupont ; « DEUX traces et nous sommes seuls », renchérit Dupond. Ainsi vont les jumeaux : irrémédiable- ment unis et nécessairement séparés.

 

Inséparables

Dupont et Dupond qui marchent, parlent et s’habillent pareillement, identiques à la moustache près, ne sont pas de vrais jumeaux : ils ne portent pas le même nom de famille. Difficiles à différencier l’un de l’autre, ils cherchent à s’assimiler aux populations des pays qu’ils traversent, en adoptant leurs costumes folkloriques. Leurs déguisements révèlent l’identité qu’ils veulent cacher : absolument reconnaissables, ils restent seuls dans la foule.

Les personnages d’Hergé ont des ancêtres mythologiques : les Gémeaux Castor et Pollux, nés le même jour de la même mère, mais de pères différents. Une seule chose les distingue : Castor est né d’un mortel et Pollux de Zeus. À la mort de Castor, Pollux demande à son père d’accorder l’immortalité à son jumeau. Zeus exauce partiellement sa prière : les Gémeaux iront en alternance et également aux enfers, lieu des morts, et dans l’Olympe des dieux, inséparables comme la nuit et le jour.

Rivaux

Qui ne connait l’histoire du Masque de fer, personnage créé par Alexandre Dumas dans Le Vicomte de Bragelonne ? Philippe, jumeau du roi, est enfermé pour cette raison à la Bastille et caché à la vue de tous par un masque de fer. La monarchie absolue de droit divin s’accommode difficilement de la gémellité. Éliminer le frère jumeau annule une éventuelle contestation de légitimité au trône.

La gémellité de Rémus et Romulus est elle aussi devenue un obstacle au moment d’ériger un empire. Nécessairement complices pour exécuter le grand-oncle qui avait ravi le trône à leur grand-père, ils s’affrontent pour déterminer lequel sera le fondateur de la cité qu’ils veulent construire sur les bords du Tibre. Romulus, se croyant désigné par les dieux, creuse le fossé limitant la cité. Rémus, par bravade, le franchit. Romulus tue son frère. Ainsi naquit Rome, d’un meurtre fratricide.

Sacrifiées

La petite fille qui aimait trop les allumettes a provoqué un incendie et la mort de la mère ; petite fille brulée, enfermée, enchainée, Ariane est condamnée par son père à être le Juste Châtiment. Entre Ariane et Alice, sa sœur jumelle, se tisse un lien puissant. « On dit il ou elle en parlant du Juste Châtiment » explique Alice, et ce flou identitaire se répercute sur elle aussi, qui s’identifie d’abord comme garçon, n’affirmant sa féminité qu’après la mort du père. Surtout, Ariane a « pris tout le silence pour elle-même ». La sœur sacrifiée permet à sa jumelle, devenue narratrice de leur histoire, « d’être à tu et à toi avec la parole », et d’être ainsi sauvée.

 

Je est un autre

Les jumeaux du Grand Cahier « ne font qu’une seule et même personne », dit leur mère : ils se partagent le prénom composé de leur grand-père – un prénom pour deux ; ils disent « notre voix », « notre tête » ; interchangeables, ils inversent leur rôle indifféremment. Mais pour accomplir un destin individuel, affirmer une identité propre, les jumeaux devront établir une frontière entre eux, s’affranchir de leur double. « Chaque individu doit avoir sa propre vie », affirme le père qui devient malgré lui l’instrument de leur séparation. L’un des jumeaux traversera le terrain miné à la frontière du pays, marchant dans les traces et sur le corps immolé du père.