Poème de sorcière

PAR MARIE-ANDRÉE GODIN

Je donne la main une ronde

à la cueilleuse la parleuse tisseuse l’accoucheuse

le blanc qui let la lumière in

les doigts pleins de paroles les savoirs à combustion lente

les langues glissantes plantées dans les mains

 

elles sentent la sueur, le vent, la nuit, la tourbe et le thuya

et le sexe et la mort et la vie

de langue-en-langue-en-langue

le sel, la vulve, la fougère, les grands troncs, le lichen, les cheveux, les écorces

les herbes, les bouches

les petites-filles de celles…

cueille

le feu l’été

la mousse à la face sud du tronc

les herbes aux mille-trous de la Saint-Jean

si une forêt est verte ou noire parle

aux arbres aux plantes au vent automne

hiver, les côtes, les rivières tisse

des vagues

et des grandes étoffes en laine trop chaude

la terre qui porte l’ambitieuse

les printemps verts de jaunes l’humus crotté des naissances

cerclées

des quatre côtés

Poème de la sorcière qui m’habite

PAR MARIE-CÉLIE AGNANT

TIRÉ DU RECUEIL ET PUIS PARFOIS QUELQUEFOIS…
PARU EN 2009 AUX ÉDITIONS MÉMOIRE D’ENCRIER

 

POURQUOI ?

C’est tout simple : ce poème est magnifique.

Et Marie-Célie a chaleureusement accepté qu’on le reprenne dans cette édition du Cahier.

– C. Prévost

 

Une dague contre ma gorge impitoyable, elle me provoque en duel Habile elle ajuste ma cuirasse

déjoue mes esquives démantèle les coques rompt les digues

puis elle dirige les flots, recueille mes larmes et mes aveux extrait les échardes

adoucit les grincements

L’œil aux aguets, la sorcière en moi se souvient et n’omet rien dans une simplicité étonnante elle réinvente mes ardeurs rebaptise mes ports d’attache

de mes voiles d’organdi

elle tisse un manteau de colère écumante et salvatrice

Je suis sans recours lorsqu’elle débusque mes monstres, les convie à la parade en plein jour

sans recours

lorsqu’elle dépoussière les intonations déchirantes de mes attritions rituelles apaise à coups de burin mes peurs et mes doutes

et me rappelle

qu’une femme meurt meurt et meurt encore pour renaître

autant de fois qu’il y a d’étoiles dans le ciel

 

La voix de ma sorcière

fureur implacable parfois rugit me pourchasse de sa mitraille Longtemps j’ai feint de l’ignorer

reniant la connivence qui nous unit timorée j’allais sur la pointe des pieds oscillant

titubant telle une soiffarde réprimant envie d’espace faim de lumière

Sa voix entêtante

ni hymne ni mélopée ses chants obsédants

ni oracles ni blasphèmes ses sentences éloquence d’usage

paroles d’abondance pour femme alchimiste

Écoute, écoute, dit-elle, la fontaine quand la fontaine en ton sein rit

ne te détourne pas des contradictions ni des confrontations de tes cuisses et

lorsque la fleur de tes mains sur les visages ne laissera plus

qu’une traînée de poussière vague et

quand toute la science de ton âme et toute la science de ton corps ne seront plus

qu’histoires émouvantes

Accueille à bras ouverts cette ultime déchirure fais-en un trophée

le sommet du monde…