Ni les films ni les cinéastes qui les font ne peuvent décider du culte que le public leur consacrera. Le statut prisé de film culte n’appartient en effet qu’au public qui voudra bien se rassembler autour de lui, y voir quelque chose qu’il décidera d’intégrer à son tour dans sa vie : des dialogues, un grand geste, une trame sonore, les éléments qui font le culte d’un film culte en sont les éléments les plus reconnaissables, ceux par lesquels le film se grave dans notre mémoire à la manière d’un refrain visuel et sonore. Qu’est-ce qu’un film culte ? Pris au sens propre, c’est de l’amour collectif envers des images mouvantes, un amour si fort qu’il procède ensuite chez le spectateur en l’invitant au mimétisme ; le film culte nous invite à y habiter, à en prendre possession, s’inscrivant dans le corps et l’esprit qui cherchent, en se costumant, en apprenant les répliques par cœur, en faisant des personnages des modèles, une façon d’atteindre cette Scène imaginaire.

C’est le souvenir que l’on garde par exemple du célèbre professeur John Keating, interprété brillamment par Robin Williams dans Dead Poets Society (Peter Weir, 1989). Sa manière de se recroqueviller en pleine classe, d’attirer les élèves vers lui pour qu’il leur confie le secret chuchoté de la poésie : « On ne lit pas ni écrit de la poésie parce que c’est joli. On lit et écrit de la poésie car on fait partie de l’humanité. Et l’humanité est faite de passion. » Entouré par des étudiants captivés, Keating chamboule l’enseignement à hauteur de professeur, enseignement d’une fermeté absolue dans cette prestigieuse académie pour garçons qui les dompte à devenir les froids leaders de demain. Cherchant au contraire à réchauffer leurs ardeurs, il varie les postures de son enseignement : au sol ou sur son bureau, ce qui compte c’est de convaincre une classe (et les spectateurs par la même occasion) qu’enseigner n’est pas une affaire de limpidité monotone ou de rhétorique asservissante.