Jouer sous masque se présente comme une expérience globale pour l’interprète, car dès que cet objet de cuir couvre son visage, il se voit investi d’une énergie nouvelle qui l’emmène à respirer autrement, à bouger et à penser différemment. À partir d’improvisations, l’interprète apprivoise peu à peu le caractère du personnage et en découvre sa musique intérieure, sa démarche, sa façon d’agir et de réagir. S’il est vrai de dire qu’il donne vie au masque, il serait aussi juste de dire que le masque prend possession de l’interprète. Se sent-il alors caché pour laisser s’incarner devant lui ce personnage pour l’accueillir avec tout ce que cela comporte d’humilité et de générosité ? Le masque lui demande alors de transposer les intentions du personnage de façon lisible en développant un vocabulaire gestuel qui s’éloigne du quotidien. Le corps mis en question amplifie et décuple l’expression du personnage et convie le spectateur à capter la moindre manifestation de ses états d’âme; un doigt impatient, des épaules tristes ou un pied joyeux. Le corps imaginatif donne à voir ce qui précède ou contredit la parole et donne lieu à une écriture poétique. Ainsi, une juste combinaison du langage verbal et du non verbal constitue la partition dramatique de l’interprète métamorphosé laissant apparaitre le personnage et son univers onirique.

Lors d’une conversation avec Félix Emmanuel, auteur et metteur en scène de Plastique, il explique que les interprètes ont créé leurs masques en 2015 lors d’un atelier de confection de masques sous la supervision de Marie Muyard.

« Depuis ce temps, les interprètes travaillent leur archétype. Leur habileté et la connaissance intime acquise de leur personnage en font des interprètes de haut niveau. Voilà le plus grand gage d’unicité et de qualité artistique de notre démarche. Chaque projet équivaut à une nouvelle mission pour ces personnages uniques. » En salle de répétition, c’est à travers les yeux de La Gercée, du Cracheux, de Gilles et de Madeleine qu’il a eu envie d’investiguer avec humour un sujet qui le préoccupait, soit la présence du continent de plastique. « Plastique s’intéresse avant tout à la nature humaine, puisque le médium du masque propose des archétypes auxquels il est facile de s’identifier. Plastique pose la loupe sur des personnages touchants et grotesques qui nous représentent par leurs vices et leurs vertus. Ces personnages, comme des miroirs qui nous sont tendus, nous placent face à notre propre inaction et à notre contribution individuelle à la crise climatique. »

Entrainés par ces personnages plus grands que nature, le public s’immisce dans un univers fiabesque lui offrant la possibilité de prendre un recul face à la situation alarmante. Cette posture lui permet pour un instant de se dégager du ressenti habituel et de s’ouvrir à cette façon complètement ludique de l’aborder. Aussi, le jeu non psychologique se rapprochant davantage de la farce invite au rire et favorise un certain détachement face
au propos.

« Le comique exige, pour produire tout son effet, quelque chose comme une anesthésie momentanée du cœur. Il s’adresse à l’intelligence pure. Seulement, cette intelligence doit rester en contact avec d’autres intelligences », affirme Henri Bergson.

Rire en écho avec ceux et celles réuni·e·s en un même espace, assister à une même représentation introduit la notion de communion et de partage inhérent à l’acte théâtral. L’histoire racontée à la manière du « il était une fois » génère des perceptions nouvelles permettant de porter un regard différent quant aux effets des changements climatiques. Les créatures de rêves passionnés agissant avec démesure offriront-elles une occasion de réflexion et de discussion quant à cette situation qui nous menace autant individuellement que collectivement ?