En attendant la visite d’une aînée, je fixe l’eau glacée de la baie d’Hudson entourant le petit village Ivujivik. Bien que je sois une Qallunaat (personne qui n’est pas Inuit), Mary a accepté de partager ses souvenirs de jeunesse pour inspirer une pièce de théâtre avec les enfants du village le plus au nord du Nunavik. Je ne suis ni anthropologue, ni biographe, ni journaliste. Je suis seulement une femme de théâtre qui écoute le récit de vie d’une Inuk, à la recherche de personnages, de situation et d’intrigues.

C’est un projet de médiation culturelle, mené par la compagnie de théâtre inuit, pour célébrer l’Inuktitut et la culture inuite. Comme bien des premiers peuples, la langue et la culture sont en déclin. Dans ce type de projets, l’idée n’est pas de montrer comment faire du théâtre, mais comment le théâtre peut être un outil pour faire vivre des gestes et des mots oubliés.

Pour que Mary partage avec moi ses tranches de vie, il me faut quelques questions, beaucoup d’écoute, de longs silences et du bon thé sucré. Je l’écoute me raconter comment sa famille chauffait la tente et l’igloo dans ce territoire glacial sans arbre. Ses souvenirs de l’apparition de l’électricité au village. La première fois qu’elle a vu un plant de tomate dans la fenêtre du curé. Comment son père glaçait les patins du traîneau à chiens en crachant de l’eau et essuyant avec une fourrure d’ours. De quelle manière, la graisse de phoque et la graisse de béluga n’éclairent et ne chauffent pas de la même manière l’igloo. Et aussi, le sentiment de la petite Mary qui aurait aimé être forte comme un garçon pour tirer plus facilement le filet tendu sous la glace. Avec ses bouts de mémoire hétéroclites, j’essaie d’inventer des petites scènes de théâtre que les enfants présentent devant la petite communauté de 600 âmes.

Comme bien des artistes, les rencontres humaines et les discussions sont pour moi d’inspirants territoires à parcourir. Derrière chaque personne se cache une histoire captivante remplie de savoirs.

Je porte le souhait secret que le projet d’écriture du Scriptarium 2023 soit un prétexte pour discuter sur les histoires qui habitent chaque famille. Partager le doux plaisir de discuter du passé avec un thé sucré !

À propos de l'auteur·e

Metteuse en scène, improvisatrice et médiatrice théâtrale, Myriam Fugère est diplômée de l’Université du Québec à Montréal en Jeu. Elle signe les mises en scène de TRUST CLUB (2016), Camping à jojo-Western macaroni de Lauriane Derouin (2018), Le Vent va tourner de David Bourgeois (2019), Il y aura le printemps de Julie Renault (2022) et prochainement le Scriptarium 2023.

Dans les dernières années, elle crée de nombreux projets de médiation théâtrale avec les jeunes des milieux urbains (Théâtre Le Clou), les jeunes des Premières Nations du Québec (Engagement artistique de l’École nationale de théâtre du Canada) et les Inuits du Nunavik (Théâtre Aaqsiiq). Elle est cofondatrice de la compagnie Jouer dehors qui propose des spectacles dans une approche de théâtre de paysage.