Chère Pauline Julien,

J’ai finalement installé le vieux tourne-disque chez moi.

Dans la pile de vieux vinyles que j’ai ramassés – beaucoup de québécois, des reels, des « chansons à double sens » (si tu voyais la pochette), le monologue d’un tout jeune Yvon Deschamps – il y a aussi un disque de toi : Mes amies d’filles.

Tiens, justement. Je viens de re-visionner le documentaire Godin (tu y figures partout). Pauline, la révolutionnaire-chanteuse, et Gérald Godin, le député-poète. On dirait que le film cherche à affirmer tendrement qu’être artiste, dans une époque déglinguée, ça veut aussi dire : aller au front.

En tout cas, c’est ce que je pense. Et je suis persuadée d’avoir raison. Ça fait du bien d’être persuadée d’avoir raison une fois de temps en temps au milieu de cet océan de doutes.

J’ai mis ton disque à jouer. J’ai eu les larmes aux yeux plusieurs fois. C’est si proche. Quelques années en arrière, et te voilà, avec un album super féministe qui ne prend pas de détours. Radical. Tellement clair. Je t’envie d’avoir été une artiste qui a pris son époque à bras-le-corps… dans ces années-là. Ça devait être malade.

Aujourd’hui, j’ai de la misère à faire prendre parti aux gens autour de moi. Ils ne veulent pas être « tagués ». Souvent ils disent : je voudrais bien mais je ne peux pas, à cause de ma job. Paraît qu’il y a un moment dans les années ’50 où c’était comme ça aussi, où tout le monde disait : je ne peux pas me prononcer puisque je suis prof / journaliste / fonctionnaire / propriétaire de boutique / etc. Et puis paraît qu’un jour ça s’est reviré et que politiquement, ça a été le tsunami.

Je sais que ta gang d’artistes et toi y étiez pour beaucoup. Ce qui me fait croire que nous, artistes, avons une responsabilité.

 

Si le féminisme et l’indépendance font mine de vaciller ces temps-ci, dis-toi que ce que tu as pointé sur nos poitrines, c’est l’anticorps à toute cette merde qui nous enveloppe pour le moment. Dis-toi que, grâce à toi et aux autres, nous avons déjà commencé à rebondir.

Je te le dis : je vais accepter ce legs que tu nous as fait, je vais le faire. Je vais demander à tous mes amis de le faire aussi, à leur façon. Je les aurai, un après l’autre. Je vais le faire pour de vrai, transmettre par l’exemple à ceux qui viendront : la lutte, la conscience de notre force, l’esprit clair qui n’abandonne pas et qui refuse de s’effoirer, qui dit non, je reste debout.

C’est ça que tu espérais, non ? C’est ça que nous espérons tous. Que ce que nous portons de plus précieux se rende à nos enfants et à ceux qui viendront après, que ça ne meure pas. Et l’esprit de lutte, notre tête de cochon, fait définitivement partie de ce que nous portons de plus précieux.

Je suis là. Je suis loin d’être la seule. Avec toi. Ne t’inquiète pas. Nous sommes nombreux. Nous le serons plus encore.