Michelle Parent ou comment devenir une super-héroïne en ces temps troubles

PAR SOPHIE CADIEUX

Pourquoi

Michelle Parent emprunte un chemin singulier en ralliant, dans cette création pluridisciplinaire, des acteurs et des non-acteurs en périphérie de la société. Nous voulions en savoir plus sur sa démarche, son équipe et ses motivations.

Avec sa curiosité incisive et son large bagage artistique, Sophie Cadieux était la personne toute désignée pour mener cette enquête.

— C. Prévost

Nous nous sommes donné rendez-vous dans un restaurant.

Nous choisissons la table du fond, celle qui offre une vue d’ensemble sur le lieu.

Un peu à l’écart, à l’abri du brouhaha strident de l’heure du lunch où les clients mangent rapidement (Peut-être trop rapidement. Pourquoi sont-ils pressés ? Et ce bruit ? Est-ce que ce ne serait pas des voitures qui explosent dehors ?).

Nous nous installons (téléphones allumés sur la table, prêts à composer ou à filmer), pour discuter paisiblement dans ce recoin. Pour être tranquilles (ou en sécurité ou pour être un peu à l’abri, si jamais ?).

Les « si jamais », les « au cas où » s’infiltrent insidieusement dans nos vies.

La peur d’un incident, d’un attentat, d’un dérèglement de l’ordre des choses.

Ça nous passe par la tête, maintenant.

Plus souvent qu’avant, de façon furtive ou de manière obsessive.

Michelle Parent est assise devant moi.

TTP pour les intimes.

Sous un long chandail d’automne et une paire de jeans, elle porte son armure de titane avec son acronyme au milieu du torse.

TTP pour Transcende ta Peur.

Nous discutons à voix basse de ce projet de théâtre qu’elle rêve et façonne depuis déjà un bon moment.

Comment mettre en scène l’hypervigilance, ce pouvoir mystérieux qu’est le 6^e sens, la peur des autres et aussi des super-héros.

Voici sa fiche

Statut en action

Discrète ;
Souvent dans l’ombre ;
En activité depuis dix ans avec Pirata Théâtre ;
Occupe son temps entre sa vie de civile ordinaire et la création de spectacles iconoclastes.

Spécialité

Elle s’immisce dans des milieux interlopes et amène ces réalités confrontantes au théâtre dans un esprit ludique et poétique où des réponses ne sont pas offertes.

Comment elle est devenue TTP

Elle ressent pour la première fois la peur. Des images, des récits d’attentats et des fusillades la bouleversent. Elle est ébranlée dans son sentiment d’insouciance.
Elle décide de questionner cet état de peur.
Elle constate que cette ambiance de danger crée des dérives, des amalgames.
Elle en vient qu’à se demander si NOUS NE SOMMES PAS TOUS EN CHOC POST-TRAUMATIQUE en tant que citoyens ?
Après une nuit de rêves et de fièvre, elle se réveille dans un one piece en titane dans son lit. Elle est devenue TTP.

But de sa présente mission

Elle se doit de questionner la dérive. Sans jamais expliquer ou tomber dans la morale, laisser l’accumulation des symboles et des concepts du spectacle, créer des réactions à la chaîne, y chercher la poésie.

IMPORTANT : ne pas dire qu’il y a des bons et des méchants, extérioriser la peur pour la transformer en poésie.

Recrutement de son équipe

Rejoindre par le biais des blogues de syndromes de choc post-traumatique des gens ouverts et disposés à partager leurs histoires, à jouer leurs propres rôles.
Des non-acteurs qui seront libres de venir et partir avant le début des répétitions
Plus de 50 personnes seront liées par cette recherche, mais seulement quelques-uns.e.s seront finalement sur scène.
Le matériel du spectacle proviendra de tous ces échanges.
Des acteurs professionnels agiront comme partenaires auprès de ces non-acteurs. La volonté étant de créer cette harmonie, cet échange dans le niveau de jeu. C’est une étape très importante pour la réussite de la mission. Il faut accepter cette démarche particulière qui n’a pas le même rythme que d’autres productions. Il faut trouver la justesse, le niveau de jeu commun, écouter les sensibilités et insécurités de chacun.
Les acteurs qui sont pour la plupart des habitués des créations de Michelle Parent, sont en quelque sorte le filet de sécurité du projet. Ils ont une bonne capacité d’écoute, de malléabilité.

Tactiques d’intervention

Cogiter longuement la mission ;
Mettre au moins deux ans de travail ;
Se laisser porter par de multiples formes : improvisations, vox pop, essais/erreurs, collage, mashup de verbatim, inviter des acteurs et des non-acteurs à se joindre à la mission.

La mission s’amorce dans une joie évidente.

L’écriture de cette aventure commence dès que le public sait que c’est vrai ce qui se passe sous ses yeux.

Les protagonistes sont des super-héros du monde réel qui font face à la peur tous les jours et qui embrassent cette mission ludique du théâtre pour soigner, d’abord eux-mêmes, et par ricochet poétique, ceux qui y assisteront dans la salle.

La prochaine fois que vous visitez un lieu achalandé, ne vous laissez pas guider par la peur, des forces douces sont autour de vous pour vous protéger. TTP est parmi nous.

À propos de l'auteur·e

Figure incontournable de la scène théâtrale montréalaise, Sophie Cadieux a pris part à plus de trente productions comme actrice et metteure en scène. Créatrice réfléchie et audacieuse, elle a bénéficié d’une résidence de trois ans au théâtre Espace Go, où elle a signé sa première mise en scène avec la pièce Tu iras la chercher. Cofondatrice et codirectrice artistique du Théâtre de la Banquette arrière, Sophie Cadieux s’est également impliquée, en début de carrière, au sein de la Ligue Nationale d’Improvisation (LNI).

Au petit écran, on a pu la voir dans les séries Lâcher prise, Rumeurs, Les Lavigueur, la vraie histoire et Watatatow ; au cinéma, dans La vallée des larmes de Maryanne Zéhil, Funkytown de Daniel Roby, Les Rois mongols de Luc Picard et dans le court métrage Quelqu’un d’extraordinaire de Monia Chokri.

Sophie Cadieux est récipiendaire du Prix d’interprétation féminine de l’Association québécoise des critiques de théâtre, du Trophée Pierre-Curzi de la LNI et de trois prix Gémeaux, en plus d’avoir été nommée dans la catégorie Meilleure actrice au 58e Festival de Télévision de Monte-Carlo.