Vendredi 27 septembre 2019, Montréal
12 h 23

Station Jean-Talon, déjà archi bondée.
Dans la cohue, une abeille se pose sur mon bras.
La chasser est mon réflexe premier :
allez ouste, piquante alliée !

 

12 h 29

Sur le quai, des jeunes des HEC vendent des beignes Krispy Kreme au profit d’Équiterre ;
et je m’en lèche les doigts.

12 h 31

L’affiche du Meilleur des mondes nous nargue.
Quel serait-il, cet ultime monde meilleur ?
Philippe et sa fille-papillon Chaska, tout sourire :
« On est là pour voir, entendre, sentir… » Agir ?

12 h 43

Contraints de sortir au Métro Laurier, on crie avec le vent dans les escaliers.
« On reste sur le trottoir », hurle un policier.
Dans mes oreilles s’active Le bruit des bottes.
Gracieuseté : Yann Perreau.

 

12 h 54

Coin Mont-Royal et Hôtel-de-Ville, un camionneur ronge son frein sans aucune rage au volant.
« J’avais pas regardé l’itinéraire, je m’en vais livrer des instruments au Conservatoire de musique, juste à côté. » Pour l’instant, la symphonie de la rue l’emporte.

 

12 h 56

« Marcheriez-vous, si vous étiez en congé ? »
Dans son uniforme vert forêt, l’agent de la SQ me toise.
Silence et tapage ambiant. Je ne bouge pas d’un poil.
« Possiblement… C’est une bonne cause. »

 

13 h 01

Un joueur de cornemuse semble jouer l’air du Titanic,
tel ce violoniste qui s’accroche à l’épave pour embellir les derniers instants de l’équipage.

 

13 h 07

Je croise d’autres vendeurs de beignes. HEC for the win !
Les masques tombent : il s’agit en fait d’une compétition.
C’est à qui vendra le plus de sucreries caritatives…
Ma gourmandise reste sur sa faim.

 

13 h 13

« Mets ton pied à terre / pour la Terre. C’est urgent / on veut du changement! »
Comptine pour enfants
imaginée lors d’une manif de quartier ; éducation à la citoyenneté,
tant que ça rime, évidemment. Tout autour, ça pique-nique,
ça change les couches,
ça met la dernière touche à sa pancarte écologique.

 

13 h 15

« L’urgence d’agir », nous chuchote Elizabeth. La rue est à nous, du moins entre 7 h et 19 h.
Trois semaines plus tard, 6,5% des électeurs choisiront le Parti vert du Canada.

13 h 18

« Non à un 3e port »,
clame le Collectif de la batture2, comme un écho au 3e lien.
Ce Saguenéen qui veut protéger son fjord en a marre de l’utopie fossile de nos dirigeants :
« McKenna3 a dit oui, alors on sort les gros mots. »

13 h 28

Un homme cache une pancarte de Trudeau avec la sienne, qui marie chemtrails d’un côté, et logo Illuminati de l’autre.
Il m’explique très calmement que Trudeau est un franc-maçon du 22e rang.
Le conseil du jour :
« Bonne marche…
et renseigne-toi, surtout. »

14 h 16

L’itinéraire n’est pas clair,
et la foule se disperse sur Sherbrooke.
Sécher les cours pour pas que la planète sèche.
Les slogans, eux, n’ont pas dit leur dernier mot.
On ne reboise pas avec une langue de bois.
Vous êtes optimiste, alors ?
« Un mince espoir. »

 

14 h 48

Je m’arrête dîner à mi-parcours.
Refuser une fourchette de plastique est-il vraiment un acte citoyen ?

 

15 h 32

Nous serions près d’un demi-million !
Une marche historique, plus vaste qu’au printemps 2012,
plus importante que celle contre la guerre en Irak en 2003.
Même Justin était là.
Oui, oui, sans costume ni trompette.

 

15 h 39

Les Premières Nations ont toujours eu à cœur la Terre-Mère,
dit en substance le jeune Cédric Gray-Lehoux,
membre de la communauté mi’gmaq de Listuguj.
« Il faut la soigner pour au moins sept générations à l’avance,
car l’argent ne se mange pas. » Faut-il le rappeler ?

 

15 h 51

Une collégienne engagée,
celle-là même choisie pour présenter sur scène l’invitée tant attendue,
ose ceci : « Dans nos désirs de changement,
la machine politique est facultative. »

 

 

 

 

15 h 54

« Je cède donc la parole à Greta Thunberg ! »
Les voilà, les trompettes.
Et les cris, et les mains à l’unisson.
Quelques blagues de hockey et de sirop d’érable.
Un ton plus posé. Maintes flèches envers nos dirigeants.
Et leur hypocrisie au banc des accusés.
« Ramassez vos déchets », somme un porte-parole, après l’euphorie des grands discours.

 

16 h 21

« Vous avez vu Greta ? »,
je demande aux paramédics, à l’arrière-scène.
« Ah, elle n’est plus là, la police n’a pas niaisé avec ça. »

 

16 h 25

« I’m the real one, I’m the superstar, I’m the hero… »,
claironne depuis 20 minutes un rappeur improvisé,
maintenant juché sur un abribus.
Intercepté par la police,
il devient vite fait la nouvelle coqueluche des badauds.

 

16 h 44

Lâchons nos cells, la planète nous appelle !
Où est-ce qu’on mange, dis ?