Il y a longtemps que l’on sait que le Québec est né pour un p’tit pain.

Mais il y a un moment déjà aussi que l’élite bienveillante de cette province a entrepris de l’éloigner de son tragique destin.

Lucien Bouchard appelait le Québec à « sortir de sa torpeur » pour mieux « tenir sa place sur le continent »1 ;

Jean Charest voulait nous voir « briller parmi
les meilleurs »2 ;

Philippe Couillard entendait guider notre « élan vers
la prospérité »3 ;

François Legault rêvait de « rejoindre le niveau de richesse de ses voisins »4.

Pour gagner cette course, pour atteindre ce firmament, il fallait en finir avec le statu quo. S’attaquer à nos « vaches sacrées ». En finir une fois pour toutes avec le modèle québécois.

C’était la condition pour libérer notre potentiel. Pas le choix.

Il fallait, répétait-on, dégraisser la machine. L’argent, il ne fallait plus le dépenser; il fallait l’accumuler. Se constituer un bon fonds. Au cas où, juste au cas où.

Les coupes ne feront pas mal, nous avait-on dit. Elles seront chirurgicales.

Nous avons été de bons élèves. Nous n’avons plus dépensé au-dessus de nos moyens. Nous avons rempli notre bas de laine collectif.

Les agences de notation ont applaudi. Notre cote de crédit a été relevée. Une « excellente nouvelle » selon le ministre des Finances Éric Girard. « Elle confirme que les orientations que nous poursuivons, qui consistent à améliorer la qualité des services, à accroître le potentiel économique du Québec, à maintenir l’équilibre budgétaire et à réduire le poids de la dette, sont les bonnes. »5

*

Tout avait été coupé. Méthodiquement, proprement, de manière chirurgicale.

Tout ce qui coûte cher avait été économisé.

Tout ce qui est essentiel avait été négligé.

Tout ce qui a de la valeur avait été remercié.

Nous voulions être riches. Nous n’avons réussi qu’à tomber malades.

*

Le Québec est une société distincte, dit-on; sa langue et ses valeurs, uniques.

Et pourtant, notre culture, c’est l’argent. Notre idole : la fortune des puissants.

Nous envions leurs vastes demeures, leurs voitures rutilantes, leurs photos de bord de mer, leur voyage dans l’espace.

Nous les récompensons, les applaudissons, les couvrons d’honneur et de médailles. Parfois même nous cochons leur nom sur un bulletin de vote.

Nous sommes prêts à tout donner pour leur ressembler – notre santé, notre travail, l’air que nous respirons.

Ils dénoncent notre paresse, pointent du doigt nos contradictions, nous enjoignent de travailler. Nous les écoutons nous faire la leçon.

Ils restructurent, rationalisent, nous flexibilisent, nous licencient. Nous encaissons.

Laissez-nous créer la richesse, nous la redistribuerons! répètent-ils inlassablement.

C’est le boss de Couche-Tard qui l’a dit.

C’est le pdg de Barrick Gold qui l’a dit.

C’est le patron de Uber qui l’a dit.

Ce faisant, ils omettaient de dire qu’ils ne sont rien tant qu’ils ne profitent pas de nous.

Ils ont omis de dire que s’ils sont riches, c’est qu’ils nous ont privé de tout.