AMERIKA
C’est le titre d’une des œuvres importantes de Kafka. L’auteur de La Métamorphose est aussi bien connu pour ses nombreuses œuvres publiées à titre posthume. De son vivant, l’auteur aurait souhaité intituler ce roman Le disparu (Der Verschollene). Certaines nouvelles éditions utilisent par ailleurs ce titre. Premier roman écrit par Kafka, il raconte le voyage en Amérique de Karl Rossmann, garçon de dix-sept ans qu’on envoie sur le nouveau continent. Le garçon ira de galère en galère pour finalement se faire recruter par le Grand Théâtre d’Oklahoma… Théâtre comme dans Denise-Pelletier. Oklahoma comme dans Homa… « Tout est dans tout », comme on dit.
BROD
Max Brod est né à Prague en 1884. Le 23 octobre 1902, alors qu’il entame des études en droit, il fait la lecture d’un essai qu’il a écrit sur Schopenhauer dans un cercle littéraire de l’Université de Prague. À la fin de cette conférence, un jeune étudiant le rejoint pour discuter et le raccompagne chez lui. Cet étudiant s’appelle Franz Kafka. Les deux hommes développent alors une amitié qui va durer jusqu’à la mort de l’écrivain. Max Brod devient l’ami le plus proche de Kafka. On verra plus tard que c’est grâce à Brod que l’on peut aujourd’hui lire la plupart de ses œuvres.
CORBEAU
Saviez-vous que les patronymes tchèques sont souvent des noms d’oiseaux? Kafka, c’est un dérivé de kavka qui veut dire choucas des tours, un oiseau qu’on appelle aussi corbeau… Dans tous les cas, ça commence par C. Nom particulièrement opportun pour l’auteur de La Métamorphose, dont l’œuvre est pétrie d’angoisse et de morts. Rappelons toutefois que si Kafka est né à Prague et qu’il parlait tchèque, ses écrits ont été rédigés en allemand. Seules quelques lettres adressées à sa maîtresse Milena Jesenská ont été retrouvées rédigées en tchèque.
DÉTRUIRE
De son vivant, Franz Kafka n’a publié que quelques nouvelles. Le cœur de son œuvre a été découvert après son décès. Dans une lettre envoyée à Max Brod, son ami et exécuteur testamentaire, l’écrivain malade de tuberculose exige qu’à sa mort, on détruise son œuvre : « Tout ce qui peut se trouver dans ce que je laisse après moi (…) tout ce que je laisse en fait de carnets, de manuscrits, de lettres, personnelles ou non, etc., doit être brûlé sans restriction et sans être lu… ». On félicite Max Brod d’avoir manqué aux dernières volontés de l’auteur… Par contre, si vous avez des exigences précises dans votre testament, vous devriez éviter de mettre ça entre les mains de Max Brod. La rumeur veut qu’il ne soit pas très fiable…
FEMMES
À la lecture, un détail de La Métamorphose a bien piqué ma curiosité et continue de me turlupiner. Dans cette nouvelle assez courte, Kafka prend le temps de nous décrire une photo de magazine que Gregor a encadrée. La femme à la fourrure. C’est l’une des dernières choses que Gregor tentera de retenir dans sa chambre alors que sa mère et sa sœur libèrent la pièce de ses meubles. Cette femme reste une énigme. Peut-être que la source de cette idée se trouve dans le contexte d’écriture? La Métamorphose a été rédigé pendant que Kafka attend avec émoi la réponse de sa maîtresse Felice Bauer à l’une de ses lettres. Il écrira : « Quelle histoire excessivement répugnante, celle que je viens d’écrire pour me reposer en pensant à toi. […] Je n’en suis pas mécontent, mais pour être répugnante elle l’est sans limites, et ces choses-là, vois-tu, sortent du même cœur que celui où tu loges et que tu tolères comme logement. »
GRETE
Le personnage de Grete, la sœur de Gregor, est l’un des rares personnages à éprouver une pitié véritable pour le protagoniste. Elle s’occupe de lui, le nourrit, place sa chaise près de la fenêtre pour qu’il puisse regarder dehors. Mais Grete subit aussi une importante métamorphose. Elle passe de fille à femme. Elle passe de celle qui prend soin de Gregor à celle qui veut se débarrasser de lui. Dans sa vie personnelle, Kafka aura une correspondance avec Grete Bloch, l’amie de sa fiancée Felice Bauer. Cette correspondance se terminera mal alors que Grete partagera à son amie Felice des lettres que l’auteur lui a écrites, dans lesquelles il raconte des détails intimes de leur relation. Cet événement mènera à la rupture du couple. Certains spécialistes affirment que le roman Le Procès serait inspiré de cette histoire.
INQUIÉTANTE ÉTRANGETÉ
Freud et Kafka sont des contemporains. « L’inquiétante étrangeté » (Das Unheimliche) est ce qui est à la fois étrange et familier. C’est un phénomène de l’« entre-deux », entre l’inconscient et le conscient, l’intime et le monde sensible, entre le présent et l’absent. Dans l’art, le sentiment unheimlich s’installe, lorsqu’une œuvre d’art révèle une part méconnue de nous-mêmes ou un aspect étrangement familier du monde qui nous entoure. La présence/absence de Gregor, qui est toujours là mais dont le corps physique a été transformé, peut être analysée à la lumière du concept freudien. Il faut toutefois savoir que Freud a publié Das Unheimliche quatre ans après la publication de La Métamorphose. Les rapprochements sont donc assurément involontaires de la part de l’écrivain praguois.
JUDÉITÉ
Kafka était juif. Sa religion n’est jamais évoquée dans son œuvre. Pourtant, l’influence judaïque sur ses écrits a été largement documentée et évoquée par Kafka lui-même dans certaines correspondances. Dans une lettre à Max Brod, il dira des contes hassidiques : « Ce sont les seules choses juives dans lesquelles […] je me sente aussitôt chez moi. » L’écriture polysémique de Kafka s’apparente à la forme des contes hassidiques selon certains chercheurs. Kafka est né en 1883 dans une famille juive en voie d’assimilation. Le thème de la perte d’identité hante une très grande partie de ses écrits. L’attitude de Kafka vis-à-vis du judaïsme aurait évolué dans son écriture grâce à une rencontre : celle d’une troupe de théâtre yiddish venue de Lemberg. La découverte de cette troupe tient une très grande place dans le journal de Kafka.
KAFKAÏEN·NE
Peu d’individus peuvent se targuer d’avoir vu leur nom devenir un adjectif. C’est pourtant le cas de l’auteur du Procès. Selon le Larousse, on dit d’une chose dont l’absurdité et/ou l’illogisme rappellent l’atmosphère des romans de Kafka qu’elle est Kafkaïen.ne. Chez nous, Réjean Ducharme a utilisé le terme dans son célèbre L’hiver de force : « Tu craches dessus, ils te paient, ils te disent merci, ils écrivent un essai sur toi : ‘’Marcel Marsil et les affreux’’. Kafkaïen. »
OUTRE-TOMBE
C’est après sa mort que l’auteur praguois a véritablement été reconnu à la hauteur de son talent. Comme nous l’avons vu plus tôt, Max Brod, son meilleur ami, a choisi de ne pas respecter ses dernières volontés afin de faire profiter le monde entier de sa plume. Brod a donc sauvé les textes de la destruction une première fois à la mort de l’écrivain et une seconde fois en amenant les textes avec lui à Jérusalem pendant la guerre. Après la prise de pouvoir de Hitler, la Gestapo a mis la main sur environ vingt journaux et trente-cinq lettres qui étaient archivés chez Dora Diamant, l’une des maîtresses de Kafka. Ces textes ont tous été détruits. On peut imaginer que la même chose serait arrivée à ses manuscrits, si Brod ne les avait pas emmenés en Israël.
QUÊTE
Le grand thème de l’écriture de Kafka est assurément la quête d’identité. Dans Kafka prince de l’identité[1], Jean-Pierre Gaxie examine plus à fond la place que prend cette quête dans son œuvre et dans sa vie. Gaxie écrit: « D’être ce qu’il n’est pas et de n’être pas ce qu’il est, Kafka était bien placé pour faire pièce au principe d’identité : » ce qui est, est ; ce qui n’est pas, n’est pas. » Pour autant, à tant se démener pour échapper aux conventions de la représentation de soi, on peut dire qu’il en connaît un bout sur l’identité, au point alors d’en devenir le prince. Le prince de l’identité. »
RÉVOLUTION
« Chaque révolution s’évapore en laissant seulement derrière elle le dépôt d’une nouvelle bureaucratie. » – Franz Kafka.
SEXE
Il semble que Kafka avait un rapport presque érotique avec son médium de création. Cette sexualisation du travail de l’écriture, la jouissance sexuelle procurée par la création littéraire est avouée à mi-mot à Felice lorsqu’il lui dit au sujet de La Métamorphose, roman qu’il lui dédie : « Plus j’écris et plus je me libère, et plus je serai pur et digne de toi peut-être, mais sûrement il y a encore en moi beaucoup de choses à jeter, et les nuits ne seront jamais assez longues pour cette occupation du reste voluptueuse au plus haut degré. »
TUBERCULOSE
Le 3 juin 1924, à l’âge de 40 ans, Franz Kafka meurt de la tuberculose au sanatorium de Kierling, près de Vienne. C’est en 1917, après qu’il ait commencé à cracher régulièrement du sang, que la maladie lui est diagnostiquée. Sa maîtresse Dora Diamant est à ses côtés. Son corps est ramené à Prague, où il est enterré le 11 juin 1924 dans le cimetière juif du quartier de Žižkov.
URBANITÉ
L’écriture de Kafka en est une de ville. Les interactions de la vie ordinaire qu’elle décrit sont propres à la vie urbaine. L’écrivain a mené à travers son écriture l’analyse du pouvoir, des rapports de domination, de culpabilisation. Comme l’indique Bernard Lahire dans Kafka, le pouvoir et la loi : « il n’a eu de cesse de déchiffrer les rapports de domination partout où il pouvait les observer : dans sa propre famille, dans le magasin paternel, dans l’usine familiale, sur son lieu de travail, dans les rapports hommes-femmes, dans les événements politiques et sociaux de son époque ou dans les interactions les plus ordinaires de la vie urbaine.»
VÉRITÉ
« L’art vole autour de la vérité, mais avec la volonté bien arrêtée de ne pas se brûler. »
– Journal de Franz Kafka
XXX
Le 8 juillet 2008, James Hawes publie un livre-choc qui s’intitule Excavating Kafka. Hawes, enseignant à Oxford, prétend y révéler le penchant méconnu de Kafka pour ce qu’il appelle « la pornographie, purement et simplement ». En entrevue au Guardian, il affirme : « j’ai été choqué lorsque j’ai découvert ces documents, notamment parce que je n’en ai jamais entendu parler dans aucune biographie universitaire. Nous avons affaire à un écrivain dont le moindre griffonnage a été passé à la loupe, pour expliquer sa psyché. Mais l’industrie Kafka ne veut pas connaître ces « choses » qui terniraient l’image de son idole. » Pour appuyer sa théorie, Hawes parle d’images pornographiques qui auraient été trouvées. D’autres chercheurs ont expliqué que ces images étaient plutôt des dessins ludiques, des sortes de caricatures. Le critique Klaus Wagenbach et la chercheuse Anjana Shrivastava discréditent James Hawes. Dans les journaux Frankfurter Allgemeine Zeitung et le Spiegel, ils le traitent d’« idiot », de « prude » et de « semeur de haine »…
YIDDISH
Le yiddish est une langue germanique avec un apport de vocabulaire hébreu et slave. Il est devenu une langue vernaculaire chez des communautés juives d’Europe centrale et orientale. Le 18 février 1912, à Prague, Kafka fait un discours d’introduction à la récitation de textes yiddish par l’acteur Jizchak Löwy. Kafka commence son discours en disant ceci : « Avant que vous n’entendiez les premiers vers des poètes juifs d’Europe orientale, je tiens encore à vous dire combien vous comprenez plus de yiddish que vous ne le croyez. Je ne suis pas vraiment inquiet de l’impression que cette soirée prépare à chacun de vous. Mais cela ne peut pas se produire tant que le yiddish inspire à certains d’entre vous une angoisse qu’on pourrait presque lire sur vos visages. » Certains chercheurs émettent l’hypothèse que l’angoisse dont parle l’écrivain, c’est la sienne. L’angoisse d’une part de lui-même qui a peut-être contaminé ses créations.