La pièce Jonathan : la figure du goéland est une réécriture de l’œuvre de Richard Bach menée par le metteur en scène Jon Lachlan Stewart. Cette relecture propose une parabole racontée par les acteurs et actrices en scène. Il est question de Jonathan, un jeune goéland qui cherche à vivre librement avec toute l’impulsion que ses ailes d’oiseau lui confèrent. Cependant, sa communauté n’entend pas s’enthousiasmer devant ses prouesses aériennes, la survie de l’espèce passe avant les amusements. Le père de Jonathan tente tant bien que mal de calmer les ardeurs de sa progéniture, il cherche à le raisonner, mais rien n’y fait. Jonathan ne peut se résoudre à la vie austère et sérieuse qu’on lui impose. Il trouve dans l’exil son petit paradis, une communauté faite de camaraderie, de goélands libres penseurs qui volent pour le simple plaisir de danser avec le ciel.
Mais quelque chose ne va pas dans son nouveau monde qui semblait si parfait… On raconte que d’où il vient, les goélands sont dépassés, rétrogrades, qu’ici, ils sont meilleurs que là-bas : et ça l’attriste. Il retournera donc dans son ancienne communauté avec l’espoir d’y apporter son nouveau savoir. Mais Jonathan comprendra qu’il n’y aura pas de solution claire et simple. Les goélands ne penseront jamais tous de la même façon.
Sur scène une narratrice s’exprime en français, les interprètes de l’histoire s’expriment quant à eux et elles majoritairement en anglais. Incarnant une posture de philosophe-conteuse, la narratrice cherche, avec la complicité du public, à décoder le sens profond de cette histoire. Elle veut comprendre ; pourquoi le monde ne s’écoute-t-il pas? Pourquoi se raconte-t-on des histoires?
Un processus de création hybride : réécriture de texte et improvisation corporelle
C’est toujours à partir d’un manque que Jon Lachlan Stewart, metteur en scène, cherche à créer. Comme point de départ, il faut d’abord identifier un vide dans le texte, puis imaginer ce qui pourrait le remplir. Créer autour du manque lui permet de s’approprier l’histoire.
Pour retravailler l’œuvre de Richard Bach, Jonathan Livingston le goéland, le metteur en scène s’est intéressé à la relation entre le personnage principal et sa famille. Il s’est penché plus particulièrement sur la relation que le jeune goéland entretient avec son père monoparental. La figure du paternel exerce une grande influence sur le jeune Jonathan et pourtant dans le texte, il n’est pas présent comme personnage actif. Jon Lachlan Stewart a retravaillé le texte en mettant l’emphase sur la relation tumultueuse du père et du fils.
C’est en amont des répétitions que le travail dramaturgique et la réécriture se passent pour Jon Lachlan Stewart. Une fois en salle de répétition, les interprètes gardent en tête l’œuvre, mais ne cherchent pas à la représenter. La mise en scène se tisse lentement à travers des jeux d’improvisation très simples. Les interprètes sont invités à explorer et à jouer pour le plaisir sans chercher immédiatement un résultat.
En improvisant, des codes physiques imprévus émergent et font sens. Les interprètes trouvent des façons de bouger en scène tout en incarnant leur personnage de goéland sans pour autant chercher la représentation. Le travail corporel que le metteur en scène et le chorégraphe, Luca « Lazylegz » Patuelli, ont mené pendant le processus de création est plus abstrait que réaliste. Les acteurs et actrices vivant avec une limitation physique ont des présences extrêmement fortes et uniques en scène, il ne leur faut presque rien faire pour laisser apparaître l’histoire. Lorsqu’un interprète joue l’oiseau, il maintient une double posture, car il reste aussi un interprète sans bras en scène et lorsqu’il parle de ses ailes, il y a déjà du sens qui émerge.
WF – Qu’est-ce que vous aimeriez changer dans la conception du public face aux personnes qui ont des limitations physiques?
JLS – La ville n’est pas accueillante pour les personnes qui n’ont pas une parfaite capacité de mouvement, plusieurs métros ne sont pas accessibles aux personnes à mobilité réduite. Pourtant, bouger, c’est notre vie : on bouge toujours dans la vie!
De plus, on est tous en processus de devenir handicapé, parce que la vieillesse finit presque toujours par réduire considérablement notre capacité à bouger, marcher, monter des escaliers. On va tous et toutes un jour ou l’autre avoir une mobilité restreinte. Montréal est construite par des personnes fortes qui ont une pleine capacité physique, mais ces personnes fortes qui construisent la ville, ne seront pas toujours fortes, ces personnes vont vieillir et vont perdre de la mobilité et la ville qu’ils ont construite ne sera même plus adaptée pour eux!
WF – Qui est ce jeune Jonathan qu’on a tous et toutes en chacun de nous?
JLS – Depuis que je suis enfant, je pense que l’énergie créative est vraiment importante. J’aime voir le monde s’exprimer par la créativité, comme Jonathan le fait avec le vol dans la pièce. J’aime entendre les choses étranges que les gens font et qu’ils sont timides de partager, car peu importe ce que font les gens, lorsqu’ils sont créatifs, ils sont beaux à voir.
Jonathan, dans sa phase adolescente, haït le monde d’où il vient, mais adulte il n’est pas complètement satisfait dans sa nouvelle communauté idyllique ; plus vieux il retourne d’où il vient pour essayer de comprendre sa communauté, mais il ne la comprendra jamais. Ça me touche beaucoup, ce va-et-vient entre l’individu et la communauté. Quand je suis dans une gang, je sens que je suis un individu et je veux être seul. Quand je suis seul, je me sens isolé et triste et j’ai envie d’être avec un groupe. C’est un va-et-vient constant qu’on doit apprendre à accepter.