ALBERT CAMUS : UNE OEUVRE POLYMORPHE

Certains entrent dans l’œuvre de Camus par ses romans (L’Étranger, La Peste), d’autres le découvrent grâce à son théâtre (Le Malentendu, Caligula, Les Justes), d’autres encore connaissent ses réflexions sur l’absurde ou le terrorisme en lisant ses essais philosophiques (Le Mythe de Sisyphe, L’Homme révolté). On connaît moins aujourd’hui le Camus journaliste (il a été rédacteur en chef du journal clandestin Combat pendant la Seconde Guerre mondiale, organe écrit d’un réseau de résistance français) ou le Camus conférencier (l’un des rares intellectuels occidentaux à critiquer le totalitarisme stalinien en URSS ou le recours à la Bombe atomique au Japon par les Américains en 1945). Né en Algérie, dans un quartier pauvre de Mondovi, un an avant le début de la Grande Guerre (1914-18) au cours de laquelle son père perdra la vie, Albert Camus a vécu de près certains des plus terribles bouleversements de la première moitié du XXe siècle. Ses oeuvres témoignent d’un ardent désir de préserver le peu d’humanité qui reste dans un monde déchiré par la catastrophe. Par l’écriture, il a livré un incessant combat contre l’injustice et la tyrannie, et s’est montré très critique envers l’abus de pouvoir des grands, l’hypocrisie des politiciens, la corruption des patrons d’entreprises.

Après une première période algérienne où il poursuit des études en philosophie, livre des essais à la facture étonnamment libre et anime une troupe de théâtre engagé, il arrive à Paris en 1940 et fait publier successivement L’Étranger et Le Mythe de Sisyphe. Puis, il entame un cycle de réflexions sur l’absurde qui se poursuit avec les pièces Le Malentendu et Caligula, montées à Paris sous l’Occupation allemande. L’Étranger, son premier roman, bien que critiqué par certains journalistes avec lesquels Camus a eu des démêlés, est tout de suite reconnu comme une œuvre d’importance. Il est soutenu par Jean-Paul Sartre qui publie même une Explication de l’Étranger et le fait connaître aux États-Unis. Camus aborde dans ce roman la vie d’un homme, Meursault, condamné à la peine de mort à la suite d’un procès pour assassinat au cours duquel il ne livre presque aucune résistance. Certains dénoncent l’amoralité d’une oeuvre qu’il faut rejeter, alors que d’autres saluent l’avènement d’un « philosophe artiste ». Le sujet de la peine de mort a poussé Camus à raconter, dans Le Premier Homme (roman resté inachevé), le dégoût d’un homme ayant assisté à une condamnation à mort. Héritier de Victor Hugo (en écho de son roman Le Dernier Jour d’un condamné à mort), Camus élabore sa philosophie abolitionniste dans Réflexion sur la guillotine en dénonçant une société qui use de la peine capitale alors qu’elle n’est nullement innocente. La société, pense-t-il, perpétue une pratique violente qui n’a plus de justification religieuse ou morale.

L’Étranger est classé comme le premier des 100 livres du siècle. Il a été adapté au cinéma par Luchino Visconti avec Marcello Mastroianni dans le rôle de Meursault. Dans les années 1980, le groupe rock The Cure en a fait le sujet de sa chanson Killing an Arab.

Jean Camus, surtout, juge que son père a toujours été un homme modeste qui n’aimait pas les cérémonies et les décorations. Il craint surtout que les politiciens se servent de la figure toujours populaire de Camus pour se donner du crédit politique, omettant volontairement de reconnaître que l’écrivain a longtemps défendu des idées progressistes et se montrait fort critique à l’égard des hommes corrompus par le pouvoir.