Comme beaucoup de gens, j’ai grandi en pensant que l’avenir de l’humanité ressemblerait au futur tel qu’il nous est présenté dans Star Trek. Si j’étais né au début du vingtième siècle, je vous aurais sûrement cassé les oreilles avec George Méliès et Jules Verne. Mais qu’est-ce que vous voulez? C’est comme ça. Je suis un enfant des années 1980, pis le grenier de ma mémoire est rempli de vieilles VHS poussiéreuses et d’anecdotes de clubs vidéo… et je suis hanté par ces images-là plutôt que par celle d’une genre de Lune en crème qui reçoit un obus dans l’œil.

Par-delà cette conception suspecte de la diplomatie intergalactique qui impliquait que William Shatner séduise le plus grand nombre possible d’espèces extraterrestres, Star Trek proposait une vision foncièrement prometteuse du futur où l’humanité avait trouvé le moyen d’enligner ses flûtes au point de pouvoir prétendre explorer l’espace en tant qu’équipe. Il y avait donc de tout, à bord de l’Enterprise : un Japonais, un Russe, une femme noire pis un gars avec des oreilles pointues qui avait toujours raison. C’est d’ailleurs dans l’espace qu’a eu lieu le premier baiser interracial de l’histoire de la télévision américaine. Parce que sur Terre, ces choses-là étaient encore compliquées1.

 

Baleines et sondes spatiales

Enfant, j’aimais tout particulièrement The Voyage Home. Le quatrième film de la franchise, dédié à la mémoire de l’équipage de la navette Challenger2, postule qu’il faut protéger les baleines à bosse de l’extinction dans le présent afin de sauver la terre d’une mystérieuse menace dans l’avenir. L’histoire, clairement imaginée par une bande de hippies, est représentative de cette philosophie optimiste selon laquelle la conquête de l’espace constitue l’étape finale d’une évolution naturelle de l’humanité vers un nouvel âge des lumières intersidéral.

Mais, à bien y penser, le meilleur film de Star Trek reste sans doute le premier – réalisé par le vétéran Robert Wise en 1979. L’équipage de l’Enterprise y reprend du service, après quelques années d’inactivité, afin d’aller à la rencontre d’une mystérieuse entité spatiale se faisant appeler « V’Ger ». Tout le scénario repose en fait sur une non-menace, car V’Ger est en réalité le nom que se donne désormais Voyager 6. La sonde spatiale égarée est en effet devenue consciente, à force d’accumuler des données au fil de ses pérégrinations.

V’Ger, donc, a été retrouvée à la dérive par une civilisation avancée qui l’a reprogrammée afin qu’elle puisse mieux accomplir sa mission de recherche scientifique. La beauté de tout ça, c’est que le scénario suppose une forme de communication interespèce par babiole interposée. Un peu comme si on apprenait l’existence des extraterrestres par l’entremise du tableau de bord de la maudite Tesla que Elon Musk a décâlissé dans l’espace il y a quelques années de cela. Il faut bien que ça serve à quelque chose éventuellement, d’envoyer autant de déchets dans le firmament.

 

Dystopies spatiales

Somme toute, les artistes semblent avoir compris assez rapidement que le fait d’aller dans l’espace n’allait pas régler la totalité des problèmes de l’humanité d’un coup sec comme ça. Les tensions politiques et les tares intrinsèques de l’organisation sociale terrestre s’exportent aisément à l’échelle du système solaire, comme en témoigne la formidable trilogie martienne du romancier américain Kim Stanley Robinson. Dans Red Mars, publié en 1992, la colonisation de la planète rouge devient ainsi le théâtre d’une féroce lutte idéologique au bout d’à peine une génération de colons martiens.

Robert A. Heinlein, le crackpot libertarien préféré des lecteurs de science-fiction avertis, transforme pour sa part la lune en immense colonie pénitentiaire dans son célèbre roman The Moon Is A Harsh Mistress. Plus tard, dans The Cat Who Walks Through Walls, il imaginera une station spatiale où toutes les pires tendances du capitalisme sont exacerbées de manière caricaturale. Il peut s’avérer difficile de déterminer si ces dystopies relèvent, pour Heinlein, du cauchemar ou du fantasme. C’est un peu comme si un politicien se faisait appeler « Mad Max », sans trop comprendre qu’un enfer désertique où les rescapés d’un club fétichiste se battent jusqu’à la mort pour la dernière goutte de pétrole ne constitue pas un projet de société souhaitable.

Le cinéaste néerlandais Paul Verhoeven avait d’ailleurs bien compris les penchants fascistes de Heinlein. Peu de temps avant de se faire montrer la porte de Hollywood, les producteurs ayant finalement compris qu’ils avaient affaire à un auteur subversif plutôt qu’à un faiseur docile, le réalisateur de RoboCop avait adapté à sa propre sauce le fameux Starship Troopers. Rappelons que le roman de 1959 est généralement considéré comme le point de départ d’une certaine militarisation de l’imaginaire occidental de la conquête spatiale. Chez Heinlein, d’ailleurs, le statut de citoyen n’est octroyé qu’à ceux qui complètent leur service militaire.

L’adaptation de Verhoeven, donc, nous montre comment l’humanité se métamorphose définitivement en Troisième Reich interstellaire à force de propagande vulgaire et d’expansionnisme armé. Il n’est plus question, dans Starship Troopers, de communiquer avec l’autre pour essayer d’établir avec lui une relation mutuellement enrichissante. L’étranger est littéralement un insecte qu’il s’agit d’écraser, quitte à traverser la moitié de l’univers pour le pulvériser. Le message est clair. Surtout qu’à la toute fin du film, Neil Patrick Harris débarque pour célébrer la victoire de l’humanité affublé d’un costume manifestement inspiré de l’uniforme SS.

Car la question la plus essentielle que pose la science-fiction, c’est bien entendu celle du style vestimentaire. Quel uniforme saura faire l’unanimité, le jour où l’humanité ira se balader dans l’espace? Il faut quelque chose qui nous représente adéquatement, en tant que collectivité. Les extravagantes sphères chromées, les cols en V surdimensionnés et les combinaisons moulantes aux couleurs outrancières ont eu la cote durant les années 1960, avant d’être remplacés progressivement par des vêtements plus pragmatiques dont la sobriété utilitaire s’avère on ne peut plus ennuyante. Verhoeven nous rappelle toutefois que ça pourrait être pire et qu’on pourrait carrément choisir de se déguiser en Nazis.

Imaginaires multiples

Chaque décennie aura fait de l’aventure spatiale le miroir de ses rêves et de ses angoisses. Dans 2001 : A Space Odyssey, sorti en salles en 1968 à l’apex de l’ère psychédélique, voyager dans l’espace devient essentiellement une excuse pour faire un trip d’acide dans les environs de Jupiter. Capricorn One de Peter Hyams, né de l’imaginaire paranoïaque de l’Amérique post-Watergate, traite pour sa part d’un vaste complot par l’entremise duquel la NASA orchestre en studio la première mission humaine sur Mars4. Pis dans Alien de Ridley Scott, quelqu’un pogne une drôle de grippe qui lui défonce le thorax après avoir ramené un parasite bizarre sur son vaisseau.

L’inconnu cosmique devient ainsi un canevas sur lequel on en vient à se dessiner, individuellement et collectivement. On l’observe en espérant qu’une forme familière émerge de l’obscurité; mais ce qu’il nous donne à voir, finalement, n’est rien de plus qu’un reflet façonné par nos craintes et nos aspirations. Dans l’attente d’un hypothétique premier contact avec l’autre, peut-être saura-t-on se contenter de cette rencontre avec nous-même?