Douter de ses doutes. Avoir l’impression de ne pas comprendre son époque. Se sentir à côté des choses – de sa vie, au premier chef. Avoir peur que ça ne marche pas et, du même coup, peur d’envoyer le message à l’univers qu’il aurait raison de croire que je ne mérite pas que ça marche. Ne pas se faire dire « il reste beaucoup de travail à faire », mais sans arrêt « il manque juste un petit quelque chose, vraiment juste un petit quelque chose… » Faire le ménage de sa chambre, faire le ménage de son texte, en espérant que les gens s’y sentiront bien, qu’ils verront clair dans tout ça, mais qu’ils ne trouveront pas l’espace ennuyant pour autant, qu’ils observeront les détails avec intérêt sans se sentir submergés. Faire des recherches pour maîtriser son sujet. Googler « Cancer le plus mortel ». Googler « Instruments taxidermiste ». Googler « Prénom masculin finissant par gre ». Ne pas trouver ce qu’on cherche. Ou pire : trouver une réponse qui va à l’encontre de la fiction, qui fucke tout, qui crée des problèmes dramaturgiques. Décider d’inventer. De se décoller du réel juste assez pour pouvoir déclarer : « Ce n’est pas réaliste. » Avoir le vertige devant la multitude de voix à l’intérieur de moi qui donnent leur opinion. Qui questionnent la motivation du personnage, remarquent qu’il manque une étape à son évolution, considèrent le sujet banal, trouvent qu’il y a trop d’humour, n’aiment pas la fin, suggèrent que quelqu’un meure pour insuffler du tragique. Essayer de tenir compte de ces critiques, de donner plus d’ampleur à la pièce, consciente du danger continuel de me trahir. Finir une journée d’écriture avec le sentiment du devoir accompli. Se remettre au travail le lendemain matin et penser : « C’est tellement de la marde… Quelle honte. » Sentir monter la panique. Avoir conscience qu’aucun regard n’est aussi intransigeant que le mien, mais croire malgré tout que ce regard est juste. Tenter de retrouver le chemin de la fiction, l’impulsion de départ, mon rapport intime au projet. S’affranchir de la multitude de voix qui donnent leur opinion. Arrêter de vouloir plaire. Revenir au plus près de moi et raconter une histoire le mieux possible, juste ça. Se rendre dans la cuisine. Prendre un fruit dans le bol. Le plus mûr, si possible. I feel you, Fille en double… Et finalement, préférer les abricots.