À 12 ans, je découvre La Société des poètes disparus dans mon cours d’anglais. Je me souviens du sourire sur le visage de Miss Murphy, ma professeure, quand elle a mis la cassette dans le VHS. Elle savait que nous allions vibrer et elle en était toute excitée. Et c’est ce qui est arrivé : nous avons bel et bien vibré collectivement. D’ailleurs, durant l’année, les « Carpe diem » et les « Ô capitaine, mon capitaine » ont fusé partout dans l’école. Keating avait ouvert le chemin d’un monde invisible, un monde empreint de poésie certes, mais aussi d’irrévérence, de pulsions et surtout de nuances. Le dénouement tragique du film nous avait appris, à travers nos larmes, que tout n’était pas noir ou blanc.

Puis, le temps a passé. Les « Carpe diem » se sont faits plus rares. J’ai bourré mon crâne d’adolescent de tout ce qu’on voulait y enfoncer, j’ai grandi et je n’ai pas revu le film.

L’année dernière, Claude Poissant me propose de mettre en scène ce classique du cinéma. Dès qu’il prononce le titre, je suis catapulté 23 ans en arrière en une seconde. Il me donne un paquet de feuilles, toutes chaudes sorties de l’imprimante, et je cours dans un café pour relire. Pendant ma lecture, ce n’est pas seulement mes souvenirs du film qui sont revenus, mais aussi ceux de mon adolescence. Dans l’écho des « carpe diem » hurlés dans les corridors de l’école secondaire, je me revois dans mon premier cours de théâtre à découvrir un nouveau monde, invisible et fascinant, je me revois jouer Tremblay à 14 ans et Molière à 15 ans, je me revois avec les amis de la troupe à développer des liens forts, à cultiver notre unicité, à assumer notre marginalité, je me revois avec eux un soir dans un parc (à défaut d’avoir une grotte), enivrés de vodka jus d’orange et d’espoir, à réciter la fin de La cantatrice chauve de Ionesco. « C’est pas par là, c’est par ici », hurlions nous à pleins poumons ! Puis, je me revois, à la fin de mon secondaire, cocher la case « art dramatique » sur le formulaire d’études collégiales malgré toute l’insécurité que me procure cette décision de presque-adulte.

Après ma lecture, dans le café, ça m’a sauté au visage… J’avais écouté Keating. Je ne suis pas romantique au point de dire que son discours a changé ma vie, mais il a sans doute, agrémenté des encouragements d’autres professeurs et de mes parents, contribué à ce que je prenne ce fameux chemin moins fréquenté. J’aurais pu aller par là, mais j’ai choisi ici et j’en suis ravi.

Merci, ô capitaine, mon capitaine !