En 1882, l’auteur et dandy irlandais Oscar Wilde traverse l’Amérique du Nord en prononçant une série de conférences sur la décoration intérieure. Les États-Unis sont alors un pays jeune d’un siècle et ont pourtant déjà vécu deux guerres (d’Indépendance et de Sécession). On s’inquiète de la violence dans la société et quelqu’un dans la salle demande : « Monsieur Wilde, pourquoi les jeunes Américains sont-ils violents ? ». Le dramaturge répond alors : « Mais parce que votre tapisserie est si laide. »

 

Selon Wilde, cette injustice crée un ressentiment explosif. On n’a qu’à visiter certaines écoles, universités ou cégeps dont les corridors et les classes sont sans fenêtres et dont l’apparence rappelle une prison pour comprendre qu’aucune personne y entrant ne souhaite y demeurer plus longtemps que nécessaire. 

La rancœur et l’amertume augmentent lorsque nous (enfants, élèves, patients, etc.) comprenons que cela est fait exprès, par l’État. Cette décision découle d’un jugement de valeur sur nos vies, qui ne valent pas l’effort de la beauté.   

La violence sociétale peut s’expliquer de nombreuses manières et par des facteurs multiples, mais l’angle de Wilde nous permet de saisir un aspect que nous préférons taire de notre société. C’est-à-dire qu’elle trouve la beauté suspecte. Jugée extravagante, on la considère comme le caprice des riches. Mais on peut penser à de nombreux artistes et réformateurs sociaux, dont le mouvement anglais Arts and Crafts ou le Bauhaus en Allemagne, qui ont tenté de réfléchir à ce problème en créant des objets d’utilisation quotidienne qui soient beaux et accessibles à tous. 

Une des valeurs que le roi Ludwig II défend dans Châteaux du ciel, c’est la beauté comme nécessité. Et c’est ce qui choque son entourage : en plein dix-neuvième siècle, tandis que la science fait des miracles, que la religion recule, que nous entrons dans une ère industrielle florissante, qu’ont-ils à ce soucier de la beauté, et qui plus est, de la répartition égale de cette beauté pour tous ? La charité s’arrête là.  Les ministres acceptent la fantaisie du roi jusqu’à une certaine limite. Il est intéressant de remarquer que le peuple, lui, aime Ludwig.