Plus encore que ses personnages, Rabelais est un géant. Tout est démesuré chez lui. Rabelais est passé maître dans l’art du rire. Le rire qui l’anime autant que celui qu’il inspire à ses lecteurs. Il inscrit d’ailleurs au seuil de Gargantua, son deuxième roman publié en 1534, la célèbre formule « rire est le propre de l’homme ». Rire est donc une affaire sérieuse pour lui, car il est la manifestation de notre humanité. Ce goût du rire est nouveau à la Renaissance, puisque le Moyen Âge l’associait au péché. Pour Rabelais, le rire a toutes les vertus. Ce rire peut prévenir la maladie, ce qui intéresse d’autant plus Rabelais qu’il est médecin. Le rire incarne aussi la philosophie de l’écrivain, ce pantagruélisme qu’il définit comme une « certaine gaieté d’esprit confite en mépris des choses fortuites », c’est-à-dire fondée sur l’indifférence par rapport à ce qui échappe à notre volonté. Hier comme aujourd’hui, ce rire peut aussi aider à affronter ses peurs et à combattre les ennemis «agélastes», c’est-à-dire dépourvus de rire et donc d’humanité.
Rabelais est aussi un géant de notre langue. Il écrit à une époque où le français est en train d’acquérir ses lettres de noblesse. En 1539, le roi François 1er en fera la langue officielle de son royaume. En 1549, Joachim Du Bellay, dans Défense et illustration de la langue française, invitera ses contemporains à faire du français une langue littéraire. Or, Rabelais n’a pas attendu l’appel du poète pour se mettre à l’œuvre. Dès 1532, avec Pantagruel, puis avec Gargantua en 1534, le Tiers livre en 1546 et le Quart livre en 1552, l’humaniste invente une langue inédite, inouïe, nouvelle, en puisant à pleines mains dans le français médiéval, dans les patois et les dialectes régionaux, dans les langues classiques comme le latin, le grec et l’hébreu, dans les langues modernes comme l’italien, l’espagnol ou l’allemand. On ne compte plus le nombre de mots qui apparaissent pour la première fois de l’histoire de notre langue sous sa plume : encyclopédie certes, mais aussi automate, bourrasque, embuscade, éjaculation, imposteur, hippiatrie (la médecine qui soigne le cheval), etc.
L’oeuvre de Rabelais constitue une corne d’abondance inépuisable non seulement par le nombre et la richesse des mots, mais aussi par la recherche permanente du jeu de mots, du calembour, de la contrepèterie, sans souci pour la grammaire, la bienséance, la bien-pensance et les tabous de toute sorte.
Rabelais connaît tout, se rit de tout et prend un malin plaisir à tout dire. Il est omniscient, « omniriant » et « omnidisant », pour imiter son style inimitable. Alors Rabelais MDR ? Oui, mort de rire, mais aussi modèle de la Renaissance et surtout maître du rire!