Buenos Aires est une grande foire du théâtre où cohabitent de nombreux styles : théâtre grotesque, classique, costumbrismo1, littéraire, absurde… tous en constante mutation. Pour illustrer cette grande diversité théâtrale, mentionnons simplement qu’il s’y présente annuellement environ 2000 spectacles différents, tant sur la scène officielle (autrement dit commerciale) qu’alternative. Pour aider les gens à s’y retrouver et approfondir leurs expériences, il y a même une école du spectateur permettant de débattre et de s’informer sur les œuvres qu’ils iront voir ou ont vues.

Les changements vécus par le théâtre argentin furent souvent provoqués par de grandes crises sociales. L’adversité qu’elles engendrèrent fut une source d’inspiration et un riche moteur de création. La dictature militaire des années 70 (1976-83) constitua l’une de ces crises majeures. Le régime répressif et autoritaire força le théâtre à devenir un lieu de résistance et de dénonciation. Le théâtre est ainsi devenu un refuge pour les auteurs, les acteurs et les metteurs en scène.

Plus récemment, la grande crise financière et politique de 2001 ébranla la classe moyenne argentine et eut un impact considérable sur la création artistique. Alors que les théâtres fermaient les uns après les autres, les créateurs cherchèrent une façon de se regrouper pour continuer à présenter
leurs œuvres. Les appartements, les maisons, les garages se transformèrent donc en scènes, avec des productions aux moyens financiers limités ce
qui poussa les créateurs à tout centrer sur le travail des acteurs, reflétant l’absurdité et la décadence sociale du moment. Aujourd’hui à Buenos Aires, il y a des centaines d’espaces de rencontre créés par des artistes ainsi que des festivals nationaux et internationaux à toutes les périodes de l’année. Le théâtre n’est pas qu’un événement sur scène, il est devenu par la force des choses un prétexte à la rencontre, avant et après ce qui se passe sur scène. Claudio Tolcachir fut l’un des pionniers de ces espaces alternatifs. Il a présenté la première version de La Omisión de la familia Coleman2 dans le salon de son propre appartement, accueillant un groupe de 20 spectateurs. Ces derniers sonnaient à la porte de l’appartement numéro 4, qui est devenu la désormais célèbre salle de théâtre Timbre 4 (sonnette #4) pour assister à un théâtre des plus intimes.

La programmation porteña3 offre aujourd’hui une gamme de productions allant du théâtre classique à un théâtre d’auteurs argentins, tels qu’Eduardo Pavlovsky, Roberto Arlt, Griselda Gambaro, Daniel Veronesse ou Javier Dualte. Aux auteurs s’ajoutent des artistes dramaturges, metteurs en scène et enseignants qui sont devenus des théoriciens et presque des philosophes de la scène, tels que Mauricio Kartun, Ricardo Bartis et Rafael Spregelburd. Le travail cumulatif de tous ces artistes a transformé les mises en scène en situant l’acteur
au premier plan et en développant une narration poétique émergeant des corps, donnant naissance à la dramaturgie actuelle.

Comme tant d’autres avant eux, une nouvelle génération s’affaire aujourd’hui à transformer le théâtre de Buenos Aires; Mariano Tenconi Blanco ou Maruja Bustamente, pour ne nommer que ces deux créateurs, font de la capitale argentine un lieu de mutation, questionnement et réflexion.