Le Meilleur des mondes, Aldous Huxley (1932)

Dans une société uniformisée, où les clones proviennent de flacons, qu’advient-il des individus qui se sentent singuliers ? C’est le cas de Bernard Marx, plus chétif que les autres Alpha-Plus, moins convaincu par les dictats ambiants que ses camarades. La différence est au cœur de ce roman charnière sur l’identité, la société et la façon dont les progrès de la science affectent l’existence.  La dystopie d’Huxley est glaçante par les distorsions terrifiantes qu’elle fait subir à l’humanité. Un passage essentiel pour concevoir les dangers de la duplication du semblable et réfléchir aux paradis artificiels baudelairiens — ici, le soma. Vous reprendrez bien un peu d’anesthésiant ?

1984, George Orwell (1949)

Dans un monde où « la liberté c’est l’esclavage », quelle forme la révolte peut-elle prendre ? Winston Smith comprend bientôt, tandis que ses envies d’émancipation grandissent, « que la domination du Parti est éternelle ». Ouvrage notoire dépeignant une société totalitaire qui dénie l’Histoire, 1984, à l’image de son titre, réinvente le temps et le langage. Apprenez la novlangue, qui éradique chaque année des mots du dictionnaire pour annihiler les nuances de l’esprit. Ici, le passé est sans cesse réécrit pour correspondre au Zeitgeist. À la suite de sa « trahison », Winston et sa compagne Julia seront rééduqués par le Parti, car il faut « éteindre une fois pour toutes les possibilités d’une pensée indépendante ». Un livre qui martèle les dangers de la pensée unique ; 2 + 2 font 5, n’est-ce pas ?

 

Fahrenheit 451, Ray Bradbury (1953)

Et si, au lieu d’éteindre des brasiers, les pompiers incendiaient volontairement les livres afin de les détruire ? Considérés comme illicites, les ouvrages en tous genres sont désormais proscrits, pour la prétendue joie collective. Fahrenheit 451 pose des jalons nécessaires sur le bonheur et ses conditions, sur l’impact de la liberté d’expression. Dans une société où l’art est ultra-censuré, « la culture tout entière touchée à mort », comment s’étonner que le pompier Montag décide de fomenter un complot pour démocratiser de nouveau la lecture, l’accès aux histoires ? Un roman obligatoire pour comprendre comment les livres « montrent les pores sur le visage de la vie ».

 

Des fleurs pour Algernon, Daniel Keyes (1966)

Ce récit offre une réflexion vertigineuse sur l’intelligence et ses ramifications, les possibles qu’elle freine et délie. Présenté sous la forme d’un journal, Des fleurs pour Algernon décrit successivement la croissance inouïe des capacités cérébrales de Charlie – jusqu’au génie – et la dégénérescence de ces mêmes facultés. Avec des accents poétiques, le livre questionne le pouvoir de la science à l’égard de l’intellect. Un roman qui pose des assises poignantes sur les fondements de l’intelligence, en se penchant sur les conséquences pour les cobayes et sur ce que représente, exactement, le fait d’être intelligent.

 

La nuit des temps, René Barjavel (1968)

Endormis depuis 900 000 ans dans la banquise de l’Antarctique, un homme et une femme attendent leur réveil. Ils sont les uniques gardiens de l’ancien savoir des peuples de la Terre, anéantis par une guerre antédiluvienne. Ce livre de Barjavel montre que l’humanité « était ancienne et lasse, même dans ses plus beaux adolescents ». Le roman est aussi une ode amoureuse qui  transcende  les  siècles,  les sentiments d’Éléa et de Païkan étant à l’abri de l’éternité. Une intrigue émouvante, glaçante comme les neiges perpétuelles des pôles, qui emmène loin, très loin à l’intérieur de la préhistoire et du silence. Prenez le temps d’écouter le « battement d’un cœur énorme […] le cœur de la Terre elle-même ».

La main gauche de la nuit, Ursula K. Le Guin (1969)

Coordination de mondes habités, l’Ekumen n’a pas l’habitude d’envoyer des soldats sur de nouvelles planètes, mais un représentant unique. Cet émissaire, Genly Aï, apprivoise, outre un climat arctique austère, la double nature des habitants de Géthen, tous bisexués. Le célèbre roman de l’écrivaine américaine aborde avec une justesse remarquable le questionnement sur les genres, dans un univers où il n’y a « aucune place pour nos schémas courants de relations socio-sexuelles ». Des décennies après sa publication, cette œuvre ne cesse d’ouvrir, de stimuler les réflexions sur la dualité, la multiplicité. Un récit humaniste et poétique sur les diverses formes de la traîtrise, au foisonnement narratif percutant. Décloisonnons les frontières du prévisible : le jour est la main gauche de la nuit, n’est-ce pas ?