Je me suis toujours intéressé à l’ouvrier au théâtre. Mon engagement social m’a souvent conduit vers ce type de personnage.
Lorsque nous avons fondé le Théâtre de Quartier, inspirés par Dario Fo, Bertolt Brecht, Augusto Boal, le El Teatro Campesino et la troupe San Francisco Mime, nous pratiquions un théâtre politique au service des opprimés. La chaîne de montage se révélait le plus puissant symbole de l’exploitation de l’homme par l’homme. Nous ne pouvions pas passer à côté de l’usine. De la shop. De l’ouvrier.
Des écrivains nous inspiraient. Émile Zola, Jack London, Upton Sinclair, John Steinbeck ou Jean-Jules Richard.
Plusieurs troupes québécoises théâtralisèrent l’ouvrier. Le Théâtre d’la Shop. Le Théâtre Euh!. Le Théâtre des Gens d’en bas. Le Théâtre Parminou. Le Théâtre des Cuisines.
Le théâtre ouvriériste a son histoire et ses modèles.
Dès les débuts de l’industrialisation, le personnage du prolétaire s’imposait. Dans les années 20, les troupes d’agit-prop, en Russie, en France, en Allemagne ou aux États-Unis, faisaient partie des avant-gardes théâtrales les plus dynamiques. De Clifford Odets à Maxime Gorki, de Vladimir Maïakovski à Jacques Prévert, les dramaturges situaient le conflit ouvrier au premier plan de leurs pièces les plus militantes.
Plusieurs prouesses techniques faisaient la fierté des dramaturges qui cherchaient à faire passer subtilement leur contenu. C’était l’âge d’or du didactisme au théâtre. Nous obéissions aux deux mots d’ordre de Bertolt Brecht : divertir et instruire. J’avoue que théâtraliser « la plus-value », « la lutte des classes » ou « la propriété privée » relevait d’un défi dramaturgique presque insurmontable. J’ai eu souvent l’impression de vendre mon âme d’auteur à expliquer le plus clairement possible ces différentes notions.
Plusieurs œuvres ont puisé dans la culture ouvrière la richesse de leur répercussion. Billy Elliot, la célèbre comédie musicale, tirée du film culte bien connu, demeure un bon exemple. La dure grève en milieu minier, sous le régime austère de Margaret Thatcher, en contrepoint à l’univers tout en finesse de la danse, donne à l’œuvre une profondeur inouïe.
Autant L’Amour dans une usine de poissons de Israël Horovitz que La Trilogie de Arnold Wesker se révèlent de forts bons textes autour de la condition ouvrière. Il y en a d’autres.
À Montréal, avec On the job, David Fennario signe l’une des plus belles réussites d’un théâtre prolétarien qui mobilise et émeut tous les publics.
Si, dans les années 70, l’ouvrier est très présent sur les scènes québécoises, à partir des années 80, il disparaît du paysage théâtral. Il est vrai que l’usine se fait plus discrète dans la structure post-industrielle de nos sociétés. Pourtant, une écriture scénique qui reflète la vie ouvrière a encore sa place en 2021. Une des plus belles chansons québécoises, La vie d’factrie de Clémence Desrochers ne vieillira jamais. Querelle de Roberval de Kevin Lambert se déroule dans le monde ouvrier d’aujourd’hui. Il fait partie de nos plus récentes réussites romanesques. J’attends un spectacle qui s’inscrit dans cette même foulée.