Comme c’est ta fête,
je me suis dit que ce serait un bon moment pour commencer notre échange épistolaire sur la sororité.
Tu trouves ça comment être née après moi ?
LOL
Elkahna
xxxxx
Salut ma sœur,
Eh bien, c’est une drôle de question. Je suis vraiment heureuse de savoir que tu seras toujours plus vieille que moi. Par contre, je me suis toujours demandé ce que j’aurais pu être si j’avais vécu 5 ans en tant qu’enfant unique. J’ai toujours été une sœur, moi. Toujours regardé vers le haut. J’observais tout ce que tu faisais et tu disais. Je pouvais calquer et apprendre de quelqu’un qui était issu de la même place que moi. Mes parents avaient fait leur formation avec toi. 🙂 Le pavé était lisse grâce à ton passage.
Et toi, as-tu un souvenir précis de ton enfance avant l’arrivée de la créature insupportable (aka moi)?
Inès
Salut,
j’ai peu, voire pas de souvenir avant ta naissance.
Je dirais que ce que je ressens par rapport à notre noyau familial est toujours en lien avec toi et le fait d’être une sœur.
C’est mon premier grand rôle !! Haha !
Je dis ça à la blague, mais ce n’est pas tant une blague. Dans la mesure où j’ai le souvenir très précis de comprendre que, comme je suis plus vieille que toi, je me dois de prendre soin.
Maman prend soin de nous. Mais moi, je fais aussi attention à ma petite sœur.
C’est super parce que j’ai une partner de jeux à temps plein.
Disons que la beauté d’être une grande sœur en jeune âge, c’est l’impossibilité de l’ennui ou du sentiment de solitude.
Et par conséquent, un moins grand besoin de l’attention parentale.
On s’occupait ensemble.
Je dirais que c’est plus une fois en contact avec le monde extérieur que le rapport à soi comme individu est plus flagrant. Comme si le rôle de la sororité existait seulement dans le noyau familial. Qu’il était ce qui nous définit. Souvent, les gens tentent de se détacher de ce rôle-là.
Le truc avec toi et moi, c’est qu’on a pris ce lien et on l’a sorti de son espace familial.
Pour vivre cette relation dans la sphère sociale et même professionnelle.
Salut.
Tu ne me réponds pas, tannante.
Hier, j’ai réécouté Sense and Sensibility.
Il y a une scène quand une des deux sœurs va mourir de la fièvre.
Sa grande sœur pleure à ses côtés et lui dit : « Ne me laisse pas tout seule, bats-toi.»
La sœur se réveille le lendemain et elle va mieux.
Carl a dit : « Elle a été sauvée par l’amour de sa sœur. C’est Frozen.»
Ça m’a fait rire, mais en même temps, il avait raison.
Elkahna
Salut ma sœur,
Je trouve ça beau comment on s’aime. Je trouve ça grand à quel point on peut s’identifier à de la littérature et de l’histoire de sœurs. Et j’adore rire de ton intensité.
Dernièrement, on s’est imaginé notre vie autrement. On se racontait les moments charnières qui auraient pu changer notre relation. Si tu avais déménagé à New York et moi en France. Je me souviens de tes yeux remplis d’eau. On serait peut-être des grandes artistes internationales, mais, visiblement, c’était pas aussi immense que le nous, maintenant. On est chanceuses. Tu trouves pas?
Inès
Salut petite cocotte.
Oh oui ! On est chanceuses!
Je pensais à notre discussion de l’autre fois sur nos vies.
Il y a une grande richesse à savoir que la personne qui est la plus proche de nous est dans notre vie depuis le tout début.
Le lien des sœurs est fort, mais aussi ça peut être un lien cruel parce que c’est la personne qui nous connaît le plus.
Je crois que là où on a réussi, c’est qu’on a fait de ce lien un lien d’amitié d’adulte aussi.
On lui a donné une autre couleur.
Je crois que, dans la société, la place de la sororité est liée à l’espace intime alors que la fraternité peut être sociale, politique voire économique.
Comme si, pareil à l’émancipation féminine, la sororité est restée dans les cuisines….
T’en penses quoi ?
Elkahna
–
Salut ma chérie,
Je pense que le terme sororité est devenu plus précieux, intime et rare que fraternité. Tellement que même mon correcteur d’ordinateur m’exprime en rouge que sororité n’existe pas et que je dois me tromper avec sonorité.
La fraternité sonne comme l’amitié, le regroupement. Nous, on est connectées par le cœur et la vie. On se lâche pas. Jamais. C’est une fraternité boostée. C’est tellement immense que même autocorrect comprend pas. Haha!
Je sais pas pour toi, mais moi, en ce moment, je réfléchis beaucoup sur mon rapport à l’art et à mon métier. J’essaie de trouver la force de continuer malgré la pandémie. Souvent, je me retrouve dans mes souvenirs. Je nous revois. Toi, 8 ans, et moi, 3 ans, ta marionnette. Devant les parents. Je n’ai que des souvenirs de spectacle. De performance. J’ai toujours fait ça. Ça serait niaiseux lâcher maintenant, han?
Toi, comment tu vis avec l’inertie (haha)?
x
Inès
–
Salut cocotte,
Ouf, je tente d’être en mouvement, même si c’est juste dans ma tête.
L’état du monde est dur pour les arts vivants. Une partie de moi a quand même le sentiment que nous sommes outillées pour passer au travers. Comme si on avait déjà été formées pour que ce soit ardu de faire ce qu’on fait. Être une femme dans le milieu artistique, même si c’est plus facile aujourd’hui, ça reste un constat qu’on a toujours eu à travailler plus pour prouver qu’on avait notre place. Oui, moi aussi, les souvenirs refont surface. Je crois que c’est parce qu’il y a dans cette période une naïveté à jamais perdue. Un temps révolu où le plaisir de jouer et d’être ensemble était plus fort que tout. Faut se replonger dans ces souvenirs sans s’y noyer. Peut-être que c’est là la solution. On pourrait se faire un spectacle juste pour nous. 😉
Papa maman vont être contents d’être notre seul public.
Je t ‘aime xxx
Elkahna