Qu’en est-il de l’argent en 2023 ?
Quelle place occupe-t-il dans notre vie ?

Alors que j’ai eu la chance de pouvoir m’entretenir avec la metteure en scène Alice Ronfard et le scénographe Gabriel Tsampalieros concernant leur prochaine création, l’argent est devenu un sujet de réflexion rassembleur.

Plus d’un an après la fin de la PCU, fameuse prestation qui venait nous offrir la seule chose qui nous manquait durant cette pandémie, l’argent, il est encore d’actualité d’évoquer le lien entre le revenu et le bonheur, l’accomplissement de soi. Que ce soit en 1840 lorsque Balzac écrit Le Faiseur ou en 2023 lorsque Alice Ronfard monte la réécriture de cette pièce par Gabrielle Chapdelaine : « Notre rapport à l’argent révèle beaucoup d’informations sur les personnes que nous sommes », comme l’indique Gabriel Tsampalieros.

C’est dans l’univers de la famille Mercadet, endettée jusqu’au cou, que nous découvrons le pouvoir de la parole, des médias, des rumeurs, et surtout, des moyens financiers. On y retrouve 5 actes, une unité de lieu, de la bienséance, des rapports de pouvoir entre les protagonistes et bien entendu de l’humour. Avec le commerce triangulaire, les NFT et la crypto-monnaie, l’autrice nous plonge dans notre actualité tout en gardant des références balzaciennes.

Malgré nous, que nous aimions ou non l’argent, nous avons un lien avec celui-ci, un sentiment, une sensation, une opinion. Balzac lui-même écrivait cette pièce pour rembourser ses dettes.  C’est aussi avec toutes ces informations que Gabriel Tsampalieros travaille l’espace en mixant le classique au contemporain. En actualisant, en réinventant les codes du théâtre classique français, celui-ci propose un espace empreint de possibilités.

Son dispositif scénique vient s’appuyer sur des codes comiques avec beaucoup de place pour entrer et sortir. Il fait aussi un clin d’œil au théâtre classique en présentant une sorte de toile sur le plateau. Pour agrémenter le tout, une proposition sonore audacieuse est mise de l’avant et remplace de nombreux accessoires, créant ce cocktail scénique contemporain avec une base de théâtre classique français.

L’argent agit comme un pont intergénérationnel qui relie les deux époques. Dans les mots d’Alice : « Il n’est plus question ici de gagner de l’argent pour pouvoir survivre, mais d’en gagner pour s’enrichir davantage.». Comme le dit si bien le nom de la pièce, Le Faiseur, que sommes-nous prêt·e·s à accomplir, à faire pour accéder à ce désir d’enrichissement ?

L’argent est tantôt un sujet malaisant, tantôt un sujet d’orgueil, de mépris, de stress, de grande joie ou, au contraire, de grande tristesse. Alors pourquoi venir écouter du théâtre qui parle d’argent ?

Il serait malhonnête de dire aujourd’hui que l’argent n’est pas une source de préoccupation pour la majorité d’entre nous. Faire son budget, dépenser, économiser, investir : l’argent engendre son lot de réflexions, de décisions et de choix. Face à l’inflation, nous désirons avoir des biens, être propriétaires, posséder, acquérir. L’argent n’est-il pas maintenant devenu notre principal levier pour toucher à cet état de bien-être, voire de bonheur ?

Ce n’est pourtant pas dans un climat d’inquiétude, de drame ou de mélancolie que la pièce prend place, mais bien dans une atmosphère comique. Nous rions face au malheur d’autrui, de la famille Mercadet. Nous rions face aux employé·e·s de cette famille qui travaillent beaucoup pour ne pas être payé·e·s assez. Enfin, nous rions face à l’absurdité du marché financier, qui peut fluctuer par  une simple phrase sur les réseaux sociaux.

 

Cette satire soulève avec précision l’instabilité de ce pilier que nous avons bâti et nommé fièrement notre « stabilité financière ». Nous pouvons tout perdre, tout. Du jour au lendemain, sans raison. Notre argent est dématérialisé, la seule preuve de son existence en ce moment, ce sont des chiffres sur un écran. Pourquoi alors penser que nous sommes en sécurité d’un point de vue financier lorsque ces chiffres sont plutôt élevés ? Comme le souligne Alice Ronfard, « la pièce elle-même ne vient pas donner des réponses ». En somme, nous avons ici un sujet de rassemblement qui nous affecte tou·te·s et qui vient nous toucher collectivement et individuellement.

Alors continuons à rire, continuons à nous épanouir face à la dégringolade d’autrui ou plus particulièrement de la famille Mercadet. Que faire si ce n’est rire, lorsque nous sommes autant possédé·e·s, dominé·e·s par l’argent ? Il n’existe malheureusement pas de réponses universelles qui conviendraient à toutes les situations, à tous les cas. Parce que parler d’argent, c’est revenir à nous-mêmes, à notre fondement, de manière profonde et vulnérable. C’est revenir à ce qui est nécessaire, essentiel, et à ce qui ne l’est pas. C’est revenir à ces questions sur nos besoins primaires et fondamentaux. Enfin, c’est revenir à cette limite, à ces épines que l’argent peut développer chez toutes les personnes qui sont éprises de lui, par choix ou par défaut.