Le compositeur allemand Richard Wagner (1813-1883) est l’un des artistes les plus novateurs du XIXe siècle. Il apportera au monde de la musique et du spectacle une vision révolutionnaire. Wagner a un rêve, celui de l’art total, et il voit en l’opéra le médium parfait pour développer sa vision artistique. Il rejette le spectacle traditionnel, jugé trop futile, et imagine une œuvre nourrie de philosophie et de poésie qui illuminerait l’humanité. Cela l’amènera à redéfinir le rôle de la musique.

 

Une vie mouvementée

Ses débuts sont difficiles. Criblé de dettes, Wagner déménage fréquemment d’une ville à l’autre dans l’espoir d’échapper à ses créanciers. Ses premiers opéras sont des échecs. Il faut attendre Rienzi, créé à Dresde en 1842, pour que le public et les critiques s’intéressent à son travail.

Néanmoins, l’esprit créateur de Wagner est en ébullition. Grand lecteur de philosophie – il dévore les livres de Schopenhauer –, il prend la plume pour signer d’importants essais, pour le meilleur et pour le pire! Si L’œuvre d’art de l’avenir (1849) et Opéra et drame (1851) sont des manifestes éblouissants, Wagner n’hésite pas à exposer au grand jour son antisémitisme en publiant Le Judaïsme dans la musique (1850).

Wagner est aussi très intéressé par les questions politiques. Le Printemps des peuples bat son plein en Allemagne et, dans la foulée de ce mouvement révolutionnaire, Wagner montera aux barricades lors des émeutes de Dresde en 1848, ce qui l’obligera à s’exiler en Suisse pour s’éviter des ennuis. Il se lie d’amitié avec l’anarchiste révolutionnaire russe Mikhaïl Bakounine, dont les idéaux auront une influence sur ses œuvres à venir, et plus particulièrement sur son projet colossal qu’est L’Anneau du Nibelung, une saga lyrique en quatre volets qui dure au total 15 heures! Bien qu’inspirée par la mythologie germanique et scandinave, l’œuvre parle de son époque. Ce récit de la création du monde devient une allégorie du pouvoir et de ses dérives. Or, un tel projet est onéreux. Il trouvera un soutien financier là où il ne s’y attendait pas.

 

Une rencontre décisive

Sa rencontre avec Louis II sera capitale. Le roi mélomane est fou de la musique de Wagner. Ce dernier profite de la générosité presque aveugle de son mécène pour financer la construction d’une salle de spectacle spécialement conçue pour ses innovations artistiques. Ainsi naîtra à fort prix le Festspielhaus à Bayreuth. Le compositeur peut enfin y présenter L’Anneau du Nibelung tel qu’il l’avait imaginé. Le spectacle sera un choc artistique majeur.

Wagner y déploie ses nombreuses innovations dont la principale sera le leitmotiv. Il s’agit d’un motif musical associé à un personnage, voire à une idée ou un concept. Les reprises de ce motif tout au long de l’opéra permettent d’exprimer sa vision philosophique et, ultimement, guident les spectateurs dans la compréhension du drame.

De plus, Wagner explore le chromatisme, une avancée dans le langage musical qu’il poussera à des limites inouïes. On parlera de lui comme étant le créateur de la «musique de l’avenir», ce qui guidera d’autres compositeurs vers l’abandon de la musique tonale. Wagner sera en quelque sorte le point culminant de la musique romantique et le point de départ de la musique moderne. Rien de moins!

 

Un héritage majeur

Que reste-t-il de son œuvre ? Ses opéras, bien sûr, qui déchaînent encore les passions. Les plus grands metteurs en scène d’ici et d’ailleurs s’attaquent à ces œuvres incontournables. Récemment, Robert Lepage a proposé sa vision de L’Anneau du Nibelung pour le Metropolitan Opera de New York, tandis que François Girard présentait ses mises en scène de Parsifal, du Vaisseau fantôme et de Lohengrin au Québec, aux États-Unis, en France et en Russie. Quant au festival de Bayreuth, toujours dirigé par des descendants du compositeur, il est à ce point populaire qu’il faut réserver sa place des années à l’avance. On y va comme on parcourt le chemin de Compostelle, en véritable pèlerin!

Ses diverses réformes sont toujours d’actualité. La technique du leitmotiv aura marqué durablement le travail des compositeurs et trouvera une place de choix dans un médium extrêmement populaire : la musique de film. Sans Wagner, les musiques de Star Wars ou d’Harry Potter n’existeraient pas! En effet, la musique que John Williams a imaginée pour ces films (et bien d’autres encore) foisonne de leitmotivs. Ce n’est pas pour rien que Star Wars est qualifié de Space Opera!

Mais par-dessus tout, c’est la vision de l’art total que Wagner aura légué à la postérité. Ce désir de créer une œuvre regroupant tous les arts – musique, théâtre, poésie, danse –, tous les spectacles à grand déploiement se réclament de cette conception. L’art total, cette belle utopie, continue d’inspirer les artistes dans la création d’expériences qui se veulent aussi grandioses et spectaculaires que porteuses de sens. Wagner en aura été un précurseur flamboyant.