Allemagne
En 1845, au moment où naît Ludwig II, futur roi de Bavière, l’Allemagne n’est pas encore un seul pays, mais une agglomération de près de quarante petits pays dont fait partie la Bavière, mais aussi l’Autriche, la Prusse, une poignée de duchés et de grands-duchés, une pincée de principautés et des villes libres comme Hambourg. (Avant 1806, ils étaient à peu près 300, c’est pour dire…) Ils forment un ensemble mou officiellement nommé Confédération germanique depuis que les puissances qui ont vaincu Napoléon à Waterloo – l’Empire britannique, l’Empire d’Autriche, le Royaume de Prusse et l’Empire russe – ont démantelé en 1815 le Saint-Empire romain germanique.  Or le grand mouvement d’unification de tous ces pays est paralysé par la lutte entre l’Autriche et la Prusse pour prendre la tête de cette Allemagne unie.

 

Bavière
La Bavière est à l’Allemagne ce que le Québec est au Canada : la province différente. Les Bavarois sont catholiques alors que le reste de l’Allemagne est luthérien. Ils aiment la fête et la bière – l’Oktoberfest! – et privilégient la joie de vivre à l’austérité et à l’esprit sérieux du reste du pays. Le Royaume de Bavière (aujourd’hui un Land) est le plus vaste des états allemands ; à l’époque de l’unification allemande, son industrialisation spectaculaire et sa frontière commune avec l’Autriche, avec qui elle partage le catholicisme, fait de ce territoire un enjeu majeur.

 

Châteaux
Au cours de son règne, Ludwig II s’est fait construire des châteaux d’une somptuosité inouïe, refusant l’architecture de son temps au profit d’imitations de styles du passé. Il y a d’abord le château de Linderhof, relevant du style baroque, puis la Maison royale de Schachen, un chalet alpin de grand luxe isolé au cœur des montagnes, le château de Herrenchiemsee, construit sur une île, le plus somptueux de tous, inspiré de Versailles et finalement, le plus célèbre, Neuschwanstein. Le coût pharaonique de ces châteaux a entraîné la destitution du roi ; aujourd’hui, grâce au tourisme, ils sont une des principales sources de revenus de la Bavière.

 

Dynasties
Au dix-neuvième siècle, trois grandes familles royale et impériales dominent le monde germanique. Les Habsbourg sont empereurs d’Autriche, après avoir fourni tous les empereurs du Saint-Empire romain germanique de 1452 à 1740, ainsi qu’une abondante lignée de rois d’Espagne. Les Hohenzollern, après avoir essaimé un peu partout dans les territoires germaniques, règnent sur la Prusse et ses possessions depuis le début du dix-huitième siècle ; lorsque l’empire allemand est proclamé en 1871, son premier empereur, le kaiser Guillaume 1er, est un Hohenzollern. Finalement, les Wittelsbach, eux, règnent sur la Bavière depuis le douzième siècle.

 

Éducation
Dès l’âge de neuf ans, Ludwig est soumis à une discipline sévère qui le force à étudier plus de douze heures par jour. Le jeune prince déteste les sciences pures, la géographie et le droit, mais il aime avec ferveur l’histoire, les sciences naturelles, le français (qu’il parlera à la perfection) et, surtout, la littérature. Toutefois, ce qu’il aime par-dessus tout c’est lire, dessiner, se costumer, faire du théâtre. Et, comme sa mère, il adore l’alpinisme et les marches en montagne. À cette époque de sa vie, il habite la plupart du temps le vieux château de Hohenschwangau que son père a fait rénover dans le style médiéval. Les fresques du château, inspirées des légendes du Moyen-Âge, exerceront une influence majeure sur son imaginaire.

 

Famille royale de Wittelsbach
Les Wittelsbach ont régné sur la Bavière de 1180 à 1918, soit pendant 738 ans. D’abord un duché, la Bavière devient en 1805 un royaume par la volonté de l’empereur Napoléon, qui vient de conquérir le Saint-Empire romain germanique. Vingt ans plus tard, succédant à son père Maximilien 1er, le flamboyant Ludwig 1er monte sur le trône. Il industrialise la Bavière et fait de Munich le cœur universitaire et artistique de l’Allemagne. Malheureusement, il impose à tous son comportement sexuel débridé, dont une relation incestueuse avec sa fille Alexandra. Le peuple bavarois, soulevé par le grand mouvement de révolte européen de 1848 et irrité des privilèges que le roi accorde à sa favorite, la danseuse Lola Montès, le contraint à abdiquer. Il cède alors le trône à son fils aîné Maximilien II, le père de Ludwig II.

 

Guerre Franco-Allemande
La guerre franco-allemande de 1870 est le moyen qu’a trouvé le puissant chancelier prussien Otto von Bismarck, pour enfin unir la ribambelle des pays de langue allemande. En fait, Bismarck provoque la France jusqu’à ce que le vaniteux Napoléon III déclare la guerre à la Prusse, qui entraine les autres états allemands dans la bataille. L’armée française est mal préparée, celle de la Prusse l’est très bien. Résultat : les Allemands, unifiés par la puissance prussienne, gagnent en six mois. Pour la première fois en Europe, les soldats utilisent des armes industrielles : les fusils ont remplacé les mousquets, la Prusse a des canons en acier et la France dispose d’une nouvelle arme : des mitrailleuses. Ces armes nouvelles font des ravages que personne n’imaginait, même les militaires.

 

Holnstein
Le comte Maximilian von Holnstein (1835-1895), par ses fonctions ministérielles et son poste de conseiller du roi, a joué un rôle politique important dans la soumission de la Bavière à la Prusse en 1871 afin que soit constitué l’Empire Allemand. En fait, il a carrément trahi Ludwig II, qui le connaît depuis sa petite enfance et qui a en lui une confiance aveugle. Von Holnstein, pourtant, fait partie de ceux qui, contrairement au roi, œuvrent à l’avènement d’un monde industriel, où la croissance économique est la valeur suprême. Ludwig rejette son conseiller lorsque ce dernier refuse de davantage fragiliser les finances publiques pour subventionner ses projets de châteaux. Von Holstein s’implique activement dans le coup d’état qui destitue Ludwig.

 

Impératrice Sissi
Cousine de Ludwig II, Elisabeth de Wittelsbach (1837-1898), surnommée Sissi, est la figure royale la plus populaire du dix-neuvième siècle à cause de son indépendance d’esprit, son destin tourmenté, son intelligence politique et sa beauté renversante. Lorsque l’empereur d’Autriche François-Joseph l’aperçoit, c’est le coup de foudre. Il a vingt-trois ans, elle en a seize et du jour au lendemain, la voilà impératrice. Sa vie devient un ahurissant tourbillon de péripéties intimes et politiques, que les journaux d’Europe rapportent en détails. Elle meurt à Genève assassinée par un anarchiste italien. (Et dire que sa sœur Sophie a failli épouser Ludwig…)

 

Jank Christian
Christian Jank (1833-1888) était un concepteur de décor dont la carrière s’est déroulée à Munich, souvent comme assistant du renommé Angelo Quaglio, qui a créé la scénographie de plusieurs opéras de Wagner. C’est à Jank que Ludwig a demandé de dessiner le projet du château de Neuschwanstein. Le roi, avec raison, ne faisait pas confiance aux architectes pour imaginer un château dont l’allure copiait le style de constructions faites six siècles plus tôt…

 

Kultur
Au cours du dernier tiers du dix-neuvième siècle, dans la foulée de l’unification allemande, le concept de Kultur devient de plus en plus important, remplaçant dans les dictionnaires le mot cultur, trop proche de son origine française. Kultur désigne l’ensembles des pratiques intellectuelles et artistiques de l’Allemagne, avec l’idée qu’elles sont supérieures à celles des autres nations. La Kultur, empreinte d’un nationalisme triomphant, s’incarne dans un soutien massif par les gouvernements des universités, des musées, des théâtres, des orchestres, etc. Lors de la Première Guerre mondiale, la propagande de la Grande-Bretagne et du Canada opposera Humanity et Kultur.

 

Ludwig II, roi de Bavière
Louis II de Bavière, le roi fou, comme on le nomme et le surnomme en français, est le personnage historique dont la pièce Châteaux du ciel raconte l’histoire. Sa vie peut se résumer rapidement. Né à Munich en 1845, il devient roi à dix-huit ans, à la mort de son père, Maximilien II, en 1864. Trois ans plus tard, il fait échouer son mariage avec sa cousine la duchesse Sophie-Charlotte de Bavière : Ludwig n’aura pas d’héritier. L’inévitable soumission de la Bavière à la Prusse, qui vient d’établir sa puissance par sa victoire sur la France en 1871, permet la création d’une Allemagne unifiée. Ludwig se sent tellement humilié d’être devenu le vassal du roi-empereur de Prusse qu’il laisse tomber ses obligations politiques, quitte la capitale et affecte l’essentiel du budget de la Bavière et de sa fortune personnelle à ses projets d’opéras et, surtout, de châteaux. En 1886, Ludwig est victime d’un coup d’état : grâce à un rapport médical contestable et contesté, ses ministres le font déclarer mentalement inapte à régner et nomment régent son grand-oncle Luitpold. Le roi est arrêté. Le lendemain, les corps sans vie de Ludwig et du psychiatre Bernhard von Gudden sont retrouvés dans le lac de Starnberg, près de la rive. Ludwig n’avait que quarante ans,

Mais c’est ne rien dire de ses parents, incapables d’affection, ni de son intelligence fulgurante alliée à une sensibilité d’exception, ni de son idéal de droiture et de pureté, ni de son sentiment de culpabilité d’être homosexuel, ni de son désir d’être un roi de légende, nimbé de mystère dans un monde où existeraient encore les esprits, les fées et les enchantements.

Et c’est surtout ne rien dire des plus grands opéras de Wagner dont il a permis la création, ni des châteaux qu’il a fait construire, les plus étonnants de l’histoire de l’humanité.

 

Munich
Munich (München, en allemand) est la capitale de la Bavière. Sous Ludwig II, sa population (100 000 habitants en 1854) est en pleine croissance. C’est là où se trouve l’immense et somptueux palais de la Résidence (Münchner Residenz), là où siège le gouvernement et où habite la famille royale. À cette époque, Munich est le centre culturel le plus important d’Allemagne, rayonnant dans toute l’Europe, bien plus que Berlin, ville avec laquelle la capitale bavaroise entretient moins de liens qu’avec Vienne, Rome et Paris.

 

Neuschwanstein
Neuschwanstein est l’ultime château de contes de fées, le projet le plus délirant et le plus célèbre de Ludwig. Construit sur un sommet rocheux au milieu d’un spectaculaire paysage, il s’inspire généralement du style roman tardif mais, suivant les caprices du roi, avec un mélange d’éléments gothiques et néo-byzantins. Sa construction commence en 1869, mais le château ne sera véritablement habitable qu’en 1884, deux ans avant la mort de Ludwig. Les peintures et les fresques évoquent les opéras de Wagner dont l’action se passe au Moyen-Âge : Tannhauser, Lohengrin, Tristan und Isolde, Parsifal. En 1959, Walt Disney s’est inspiré de Neuschwanstein pour son château de La Belle au bois-dormant, devenu depuis le symbole de l’empire Disney.

 

Otto 1er de Bavière
Otto est le jeune frère de Ludwig, que trois ans séparent. Si Ludwig est rêveur et réservé, Otto, lui, aime l’action. Dès l’âge de quinze ans, il entre dans l’armée ; comme il est aristocrate, il devient automatiquement officier. Il s’engage avec fougue dans la guerre franco-allemande de 1870 comme commandant d’un régiment de cavalerie. Or l’utilisation toute nouvelle d’armes industrielles et les attaques-surprises de gens du peuple – un peu comme au Vietnam ou en Afghanistan – l’affectent profondément. Souffrant de ce qu’on appellerait aujourd’hui un syndrome de stress post-traumatique, il est déclaré fou en 1872. Ainsi, à compter de l’âge de 25 ans, il passera le reste de sa vie enfermé sous clef dans divers châteaux de la famille royale. En 1886, comme Ludwig meurt sans héritier, il est proclamé roi sous le nom d’Otto 1er, même s’il demeure interné.

 

Psychiatre
Le destin du psychiatre Bernhard von Gudden (1824-1886) est lié de façon aussi inattendue que tragique à celui de Ludwig II. À cette époque, le soin des maladies mentales est encore une branche nouvelle de la médecine. Avant les idées nouvelles issues de la Révolution française et propagées en Europe par Napoléon, les « fous », si on les croit le moindrement dangereux, sont emprisonnés comme criminels. Or à compter du début du dix-neuvième siècle, on commence à les considérer comme des malades, donc relevant de la médecine. Von Gudden s’est spécialisé dans le traitement des aliénés (comme on les appelle à l’époque) et se signale par ses positions avant-gardistes ; ainsi, il n’attache pas ses malades en permanence, comme c’est la norme, et vise si possible à les retourner à la vie en société. Sa notoriété comme chercheur et comme clinicien fait en sorte qu’on lui confie le prince Otto dont la santé mentale s’est définitivement effondrée après son retour de la guerre franco-allemande. Pour son plus grand malheur, c’est à von Gudden que les politiciens qui veulent destituer Ludwig demandent un rapport médical attestant que le roi est fou. Von Gudden, qui n’a jamais rencontré Ludwig, rédige néanmoins un rapport bidon à cet effet. Le roi, immédiatement détrôné, est aussitôt interné au château de Berg sous la surveillance médicale de Von Gudden.

 

Quête du Graal
Inspiré par les fresques du château d’Hohenschwangau où il a passé ses jeunes années, Ludwig demeure toute sa vie fasciné par les légendes médiévales qui racontent l’épopée du roi Arthur, des chevaliers de la Table ronde et de leur quête du Graal, qu’il assimile à sa propre quête d’un monde féérique et enchanté qui puisse faire contrepoids au capitalisme industriel qui se développe sous ses yeux. Dans ses jeux d’enfant, il prend le rôle de Parsifal, le chevalier innocent au cœur pur, gardien du Graal. Son frère Otto joue Gawan, le chevalier guerrier par excellence, celui qui va se battre dans le monde extérieur.

 

Romantisme
Le romantisme n’a rien à voir avec les soupers aux chandelles. C’est un mouvement dans la pensée et dans les arts qui a déferlé sur l’Europe à compter de la toute fin du dix-huitième siècle pour se déployer pendant la première moitié du siècle suivant. Le romantisme naît d’une réaction au rationalisme sec du mouvement des Lumières auquel il succède. Le romantisme préfère la passion à la raison, le mystère de la nuit aux clartés du jour, la nature aux fabrications, les cathédrales et les châteaux du Moyen-Âge plutôt que l’architecture ordonnées par des colonnes grecques…

 

Sacre
Le sacre d’un roi ou d’une reine, souvent intégré à la cérémonie de son couronnement, est un rituel qui distingue le souverain des autres êtres humains. Il confère au corps royal une nature sacrée, qui se manifeste entre autres par la capacité du monarque à accomplir des miracles – ce à quoi par prudence les rois d’aujourd’hui ne s’essaient même pas… Lors d’un sacre, un évêque, généralement, exécute des onctions en forme de crois avec une huile bénite sur certaines parties du corps du souverain : tête, épaules, bras, mains. Or Ludwig a le malheur d’être un roi constitutionnel. Pas de sacre pour lui. Comme seule cérémonie, il doit jurer sur la constitution bavaroise de gouverner selon les lois de la… constitution bavaroise. Pour lui, un roi doit être un être sacré, magique, mystérieux, comme au Moyen-Âge. Il voyage donc clandestinement jusqu’à la cathédrale de Reims, là où pendant plus de 1000 ans ont été sacrés les rois de France. Mais il doit accomplir son rituel à la sauvette, entre deux groupes de visiteurs…

 

Tristan et Iseult
Le premier opéra que Wagner fait représenter après que Ludwig l’ait pris sous sa protection est Tristan und Isolde, dont la création a lieu à Munich en 1865. Inspirée d’une légende médiévale, c’est l’œuvre la plus audacieuse du compositeur : la musique naît continuellement d’elle-même, comme un flux inexorable coulant sans ruptures ni transitions. La partition entière émane d’un accord irrésolu – qu’inconsciemment l’auditeur tente de résoudre – créant pendant l’écoute de l’œuvre un état de fragilité mentale. Les thèmes aussi sont audacieux : le refoulement mémoriel des souvenirs intolérables, les liens entre l’amour et la sexualité, et la mort comme unique territoire de l’amour absolu.

 

Unification allemande
Depuis la naissance de la très désunie Confédération germanique en 1815, un fort mouvement pour créer une seule Allemagne parcourt la trentaine de pays qui la forment. Or la Prusse (au Nord) et l’Autriche (au Sud) veulent toutes deux en prendre la tête. Otto von Bismarck, l’habile et brillant chancelier prussien, va régler la question « par le fer et le sang ». En 1866, il trouve un prétexte pour déclarer la guerre à l’Autriche (et à son alliée la Bavière), la vaincre en moins de deux mois et l’exclure de la confédération. Les états du Nord se sont unis à Prusse, mais il manque le Sud du pays, c’est-à-dire principalement la Bavière. En 1871, la Prusse vainc la France, qui lui avait déclaré la guerre six mois plus tôt. La puissance prussienne est désormais indiscutable ; la Bavière joint le mouvement d’unification. Le IIème Reich est proclamé et le roi de Prusse, Guillaume 1er, est proclamé kaiser (empereur) du nouvel état-nation.

 

Visconti
Issu d’une richissime et très ancienne famille de la noblesse milanaise, le cinéaste et metteur en scène italien Luchino Visconti (1906-1976) connaissait de première main les usages de la haute société européenne, dont il a décrit le déclin dans des films comme Le Guépard (1963), Les damnés (1969) ou Mort à Venise (1971). Il était inévitable qu’il consacre un film à Ludwig II. Ludwig : le crépuscule des dieux (1973) recrée de façon saisissante l’univers fastueux et le destin tragique du « roi fou ».

 

Wagner
Le compositeur d’opéras Richard Wagner (1813-1883) a révolutionné la musique et aura fourni la trame sonore de la vie et des rêves de Ludwig. Ni la musique ni Ludwig ne s’en remettront. Aucun compositeur n’est allé aussi loin que Wagner dans l’expression musicale de la puissance de la nature, de la passion amoureuse, de l’héroïsme, de la noirceur de l’âme humaine et le la noblesse des grandes émotions. Encore aujourd’hui, que ce soit la musique des films épiques, l’architecture des théâtres, notre rapport aux légendes du Moyen-Âge, tout cela et bien davantage, porte sa marque.

C’est ce que ressent et pressent Ludwig lorsqu’à seize ans, il assiste à une représentation de Lohengrin, qui propulse dans une dimension inouïe sa fascination pour les légendes de chevalerie et ses rêves d’un monde où l’amour est pur.

Quelques jours après son accession au trône, Ludwig demande à son chef de cabinet de lui trouver Wagner – qui se cache pour échapper à une horde de créanciers et à la jalousie de quelques maris. C’est que Wagner, tout génie qu’il soit, est un être égocentrique, menteur, manipulateur, vaniteux à l’excès. Il est difficile d’aller au fond de la relation entre Ludwig et lui, dont témoignent quelque 600 lettres au langage d’une rare exaltation passionnelle. Ludwig éprouve pour Wagner un amour absolu dont le corps et la sexualité sont bannis. L’affection de Wagner est sans doute réelle, même s’il exploite Ludwig financièrement et émotionnellement.

Le gouvernement de Bavière, les journaux, puis le peuple finissent par se liguer contre Wagner, dont les projets artistiques coûtent cher à l’état. Ces pressions et la fatuité grandissante de Wagner font en sorte que le roi finit par rejeter son artiste.

Mais. Sans l’appui et l’argent de Ludwig, nous, l’humanité, n’aurions pas Tristan et Iseult, Les maîtres-chanteurs de Nuremberg, Parsifal et l’architecture révolutionnaire du théâtre de Bayreuth.

 

Yodel
Le yodel, que l’on appelle aussi le chant tyrolien (du nom du Tyrol, une région des Alpes autrichienne et italienne qui borde la Bavière) est un élément renommé du folklore bavarois. À la fin du fascinant film Ludwig, requiem pour un roi vierge (1972) de Hans-Jürgen Syberberg, Ludwig II meurt guillotiné entre deux motards (!) pour ensuite ressusciter dans les Alpes (!!), chantant du yodel en costume bavarois (!!!). Le roi fou, dépouillé de son combat contre la déshumanisation du monde moderne, est-il condamné à ne plus être qu’une figure folklorique kitch ?

 

Xanadu
En 1797, l’écrivain anglais Samuel Taylor Coleridge (1772-1834), après avoir fumé de l’opium, s’endort et rêve qu’il écrit un poème. À son réveil, il transcrit fiévreusement ce poème, Kubla Khan, qui sera plus tard considéré comme un des textes fondateurs du romantisme anglais. Dans ce texte influent, Coleridge décrit le palais de Xanadu, qui changera la façon dont imagine les châteaux. Car si on les a auparavant pensés comme forteresses, puis lieux de pouvoir, de prestige et de fêtes, Xanadu « invente » le château comme lieu du rêve, induisant en Europe un nouvel imaginaire dont Ludwig II s’emparera de façon spectaculaire.

 

Zurück vom Ring!
« Lâchez l’anneau ! » Ce sont là les dernières paroles prononcées dans Le crépuscule des dieux de Wagner, l’opéra final de sa tétralogie L’anneau du Nibelung, dont la représentation en quatre soirées totalise seize heures de musique. Ces mots, qui font référence à l’anneau qui donne la puissance à qui le porte, sont prononcés par Hagen, un être brutal, avide de pouvoir et d’argent, alors qu’il est vaincu par les forces enchantées de la Nature qu’incarnent les Filles du Rhin : une finale qui illustre ce dont rêvait Ludwig et rappelle la pertinence actuelle de l’œuvre de Wagner.