Frannie Holder est une chanteuse, autrice-compositrice, multi-instrumentiste et metteuse en scène de Montréal. Membre des groupes pop/hip hop Random Recipe et électro-folk Dear Criminals, l’artiste polyvalente a débuté sa carrière musicale en 2007. Son groupe Dear Criminals s’inscrit dans une démarche de création multidisciplinaire et cumule les collaborations avec le milieu théâtral, la danse contemporaine, l’opéra et le cinéma. Indépendamment de ses groupes de musique, Frannie Holder a également assuré la conception musicale des pièces de plusieurs créations théâtrales, ainsi que de spectacles de danse contemporaine, de séries télé et de films.

En quoi tes origines américaines t’ont aidée à t’approcher du texte ?

En mai de l’année dernière, Alexia et moi, on est allées à la Nouvelle-Orléans pour s’imprégner du lieu et chercher des inspirations. J’ai décidé en quelque sorte de saisir l’occasion de cette conception sonore pour plonger et faire un petit bout de chemin dans mon histoire personnelle. C’est une pièce sur le souvenir, sur la mémoire et sur la famille. Pour moi, bien sûr, il y avait beaucoup de liens intimes à faire avec la question de l’absence, de la distance et autour d’une forme d’exil aussi.

Après ça, bien sûr, il y a toute la question raciale qui est très chargée aux États-Unis, particulièrement dans le Sud et qui est en filigrane de la pièce. Moi, c’est quelque chose que je connais, que je porte en moi et que toute ma famille porte en elle. Cette charge-là, elle m’habite et j’imagine qu’elle se retrouve un peu dans mon travail. C’est difficile de poser un regard sur ta propre culture et l’endroit d’où tu viens, alors c’était vraiment intéressant d’aller là-bas avec quelqu’un qui découvre le coin. Les réactions d’Alexia, sa manière de lire la culture de la région m’a permis d’avoir une autre perspective.

Comment as-tu abordé le fait que la pièce se déroule dans les années 1930. As-tu pris des libertés par rapport à l’époque ?

Oui. D’ailleurs, je ne pense pas que si Alexia avait voulu faire un show d’époque, elle aurait pensé à moi ! Comme on s’adresse à un public plus jeune aussi avec ce spectacle, j’ai trouvé riche de ne pas rester campée dans une période, mais d’explorer plein de choses. Entre autres, j’ai utilisé la méthode du sampling, spécifique au hip hop pour traiter de la musique plus ancienne de façon contemporaine. À partir d’un vieux disque de Benny Goodman, je prends des petits extraits et puis je fais des loops que je mélange avec d’autres choses pour créer un environnement sonore qui évoque les souvenirs, le rêve. J’ai travaillé un son qui peut sembler daté, mais qui résonne aussi aujourd’hui. Je pars du grain de vinyle d’une autre époque pour évoluer vers quelque chose de vraiment plus actuel.

Je me suis aussi inspirée de la musique du ballroom dancing du début du 20^e siècle pour voyager vers la ballroom d’aujourd’hui, associé au voguing et à la culture trans. C’est un chemin que j’emprunte pour traverser le temps, les époques. J’utilise aussi ma voix. Même si on chante différemment selon les années, ça reste un instrument intemporel. J’ai composé une valse, dont on pourrait dire qu’elle est inspirée de Chopin et qui tranquillement se transforme en autre chose de tout à fait électro. Ce n’est pas très loin de ce que je fais dans mon travail en fait. On peut dire que c’est une création qui est dans mes cordes ! Il y a beaucoup d’instruments analogues, des instruments avec lesquels je créée des sons drones, des textures, des tensions particulières. Je travaille aussi avec des carillons et des genres de petites boîtes à musique qui viennent rappeler le monde de l’enfance, qui ouvre un espoir, une lumière, qui disparait.

Comment s’est déroulée cette première collaboration avec Alexia ?

Vraiment bien. Évidemment, c’était un grand luxe de faire ce voyage ensemble, pour apprendre à mieux se connaitre et s’imprégner du monde de l’auteur. Dès le départ, on s’est créé des références et un vocabulaire commun. Par la suite, nos idées se rencontraient naturellement. Peut-être à cause du voyage, peut-être à cause de mes origines, mais cette conception sonore a été moins fastidieuse à créer que d’autres pour moi. C’est important de trouver le ton pour chaque spectacle, des fois ça peut être long, et cette fois-ci, ça sortait avec beaucoup de fluidité. Alexia sait exactement ce qu’elle veut, elle dirige les concepteur·rice·s et les interprètes au quart de tour, mais en même temps, elle fait confiance et laisse une grande liberté à chacun·e. Sur le plan du son, elle me disait précisément ce dont elle avait besoin pour tel ou tel moment, telle transition et on se comprenait sur le sentiment qui doit exister à ce moment-là, mais après c’est à moi de traduire ça en musique.

À propos de l'auteur·e

Diplômée du programme d’Études françaises de l’Université de Montréal en 2007, Sara Fauteux travaille dans le milieu du théâtre montréalais depuis plus d’une dizaine d’années. En plus d’agir comme conseillère dramaturgique auprès de plusieurs auteur·ice·s et metteur·e·s en scène, elle collabore avec différents théâtres, festivals et organismes culturels comme médiatrice, animatrice et rédactrice (Joe Jack et John, FTA, Théâtre de Quat’ Sous, Théâtre Denise-Pelletier, etc.). On a pu lire ses critiques théâtrales et ses textes de réflexions dans la revue Liberté, la revue Jeu et dans le journal Le Devoir.

Depuis 2020, elle enseigne la dramaturgie internationale aux étudiant·e·s du programme d’Écriture dramatique de l’École nationale de théâtre du Canada.