**Quels sont les principaux concepts qui ressortent du Prince de Machiavel ? Et comment résonnent-ils avec notre époque ?**

Isabelle Lacroix : On retiendra de Machiavel, bien sûr, l’idée que la raison d’État est ce qui doit guider les gouvernants et, qu’en ce sens, la fin justifie les moyens. Généralement, on ne considère que les moyens « machiavéliques » et on oublie cette idée de « fin ». C’est là, où j’essaie toujours de réhabiliter – du moins en partie – Nicolas Machiavel.

On considère que Machiavel est le premier politologue, car c’est lui qui va insister sur l’exercice humain du pouvoir et non pas comme une simple expression d’un pouvoir divin.

Chez Machiavel, les personnes qui gouvernent ont un pouvoir réel et elles sont invitées à l’exercer en connaissance de cause. C’est l’idée de « virtù » qui est importante ici. Si les gouvernants sont limités dans leurs actions par des contraintes prévisibles et imprévisibles qui sont inévitables, il reste toujours un espace de liberté qui permet d’agir selon notre volonté, nos intérêts et notre rôle.

En termes plus précis, cela veut dire que malgré les règles nombreuses qui limitent les actions des gouvernants (lois, règlements, budgets, ressources…), malgré les surprises qui surviennent à tout moment et qui s’imposent de façon incontournable (catastrophes naturelles, découvertes scientifiques…), il reste toujours une marge de manœuvre aux gouvernants pour influencer le cours de leur histoire. Aussi petite soit-elle, Machiavel nous enseigne que cette marge de liberté existe toujours et que le gouvernant habile saura l’utiliser à bon escient.

Pour moi, cet enseignement est d’une importance capitale pour ceux et celles qui veulent gouverner, mais aussi pour ceux et celles qui sont gouvernés et qui cherchent à comprendre et influencer les gouvernants. Dans cet esprit, Machiavel est toujours aussi pertinent aujourd’hui et le sera encore pendant longtemps !

**Comment avez-vous accompagné le Théâtre du futur dans cette adaptation très libre du Prince ?**

Parfois, la vie fait bien les choses. Hubert Lemire (du Théâtre du Double signe, qui coproduit le spectacle) m’a contacté après avoir entendu une entrevue où je parlais de mes travaux de recherche où j’utilise les œuvres de science-fiction comme un « laboratoire de représentations politiques ». J’ai été charmée par leur projet ! Un space opera théâtral basé sur Le Prince de Machiavel, du gros WOW !

Nous avons eu une première rencontre à quatre, avec Olivier et Guillaume, pour que je leur parle de l’importance de Machiavel dans le développement de la science politique, ce qui me semblait toujours hautement pertinent de cette œuvre en 2024/2025 et les interprétations à tout le moins contestables de cette œuvre que l’histoire aura retenues.

À la suite de cette rencontre, j’ai pu assister à deux ou trois lectures du texte théâtral en construction et le commenter à chacune des fois. J’ai vu le texte évoluer de même que les représentations politiques qu’il contient. Pour la politologue que je suis, ce fut un grand bonheur !

Il n’est pas simple de discuter politique, notamment au Québec où cela est généralement associé « à la chicane » ou alors dans notre époque de désillusion et de grand cynisme. L’art me semble être un outil de conversation positif pour renverser cette tendance. Vous pensez que Star Wars parle de vaisseaux spatiaux et de sabre laser ? Je vous dirai que ça parle surtout de fragilité démocratique. Star Trek parle d’exploration spatiale et de développement technologique selon vous ? Au contraire, je pense plutôt que cette œuvre parle de respect des droits humains, de richesse de la diversité, d’inclusion et de tolérance.